mardi 13 novembre 2012

La lecture numérique expliquée par les enfants


Repris sur About Parents 3.0



La lecture numérique expliquée par mes enfants

J’ai la chance d’avoir des grands lecteurs à la maison. Septans et Huitans adorent lire et dévorent tout ce qui passe à leur portée, et Cinqans prend le même chemin. Mais étrangement, ils sollicitent assez peu l’iPad dans sa fonction de liseuse (au sens large). Moi qui suis une lectrice numérique (et papier) forcenée, qui écris pour le numérique (et le papier), intriguée par ce syndrome du cordonnier mal chaussé appliqué à mes lecteurs en herbe, j’ai décidé de mener l’enquête. Après plusieurs jours d’observation, mêlant filatures sur canapé et espionnage en journaliste déguisée en mère de famille, voici mon rapport…
La parole aux lecteurs
Huitans : “Je préfère les vrais livres à lire, quand c’est moi qui tourne la page en vrai. J’aime bien lire dans ma tête : quand on a un nouveau livre et qu’on tourne la page, on ne sait jamais si ce sera drôle ou triste et j’aime ça. Sur l’iPad, c’est différent. Les pages sont fléchées, il y a souvent des voix qui lisent, et je préfère quand c’est moi qui lis. L’iPad, j’aime bien pour découvrir et pour jouer et pour créer.“
Septans : “J’aime les livres (sous-entendu papier, ndlmb, note de la maman blogueuse), et aussi les histoires sur l’iPad, parce qu’elles sont racontées. Mais par exemple, Le Petit Quotidien, je préfère le lire quand je le reçois dans la boîte aux lettres. On voit toutes les pages entières, et on n’est pas obligé d’attendre que ça charge comme sur la version de l’iPad. Et sur l’iPad, on ne voit que la moitié d’une page à la fois (et pas la double centrale, ndlmb).“
Cinqans : “J’aime bien quand c’est maman qui raconte et aussi quand c’est l’iPad qui raconte. Sur l’iPad, ce sont des histoires sans pages, ou avec des vraies pages qui tournent.”
Une distraction parmi d’autres
La lecture de livres papier est un acte solitaire, individuel, isolé. C’est une évasion hors du temps, un divertissement, au sens étymologique du “détournement de ses préoccupations”. Sur l’iPad, la lecture est un divertissement parmi d’autres sur l’écran. Pour pouvoir rivaliser avec Angry Birds, elle doit être interactive, tactile, audio, bref, enrichie, comme le sont les autres applis pour enfants. Afin de se démarquer et retenir l’attention des jeunes lecteurs (souvent d’ailleurs lecteurs en devenir), une appli de lecture doit apporter une “expérience” qui n’a rien à voir avec la linéarité d’un récit porté sur le papier, évoquant parfois, pour certaines, davantage des tentatives de “CD-Romisation” d’une histoire en donnant la priorité aux “effets spéciaux”, au détriment du sens et de l’acte de lecture. La plupart du temps, dans ces applis, la lecture est une option parmi d’autres dans l’histoire, habituant les lecteurs débutants à l’oralisation de la page.
Dans les méandres des étagères virtuelles
La manière dont les histoires sont accessibles sur l’iPad joue également un grand rôle. Mes enfants ne touchent par exemple jamais spontanément à iBooks, dont le logo semble davantage destiné aux adultes du XXe siècle, avec ses pages blanches et son motif bois censé rappeler les étagères de bibliothèque. Il est vrai que parmi tous les titres présents dans mon iBooks, seuls deux sont destinés à mes enfants. Ce qui, à mon avis, ramené en pourcentage, est un reflet de l’offre numérique jeunesse actuelle au format ePub (par numérique, j’entends création pour le numérique, et non pas numérisation d’un livre papier).
Quant aux applis de lecture, où les ranger ? Quel intitulé donner au dossier ? Livres ? Non, car ce ne sont pas des livres. Lecture ? Non plus, car restrictif. Ici, j’ai opté sobrement pour “applis lecture”, après avoir fait le ménage dans les applis, et m’être aperçue que ces applis qui racontent des histoires étaient souvent rangées dans les dossiers “jeux” ou “éducatif”. Dernière difficulté, qui vient des applis : avant d’accéder à l’histoire elle-même, les enfants (et les parents aussi) doivent appréhender l’appli et ses codes : à quoi renvoie chaque picto ? où lancer l’histoire ? comment arrêter/démarrer la voix ? comment se repérer dans l’histoire ? Cela étant posé, il s’agit, aussi, d’un mode de lecture à part entière, qui permet par ailleurs aux enfants de se repérer dans un univers numérique (mais pas que…) qui utilise énormément de codes.
Les parents, freins inconscients
La lecture sur écran souffre d’un autre “mal”, qui vient des parents eux-mêmes : ils sont les premiers pourvoyeurs d’écrans, avec l’envie de voir leurs enfants s’épanouir avec des applis éducatives, mais ils sont également les premiers à freiner sur le temps écran, avec la peur de voir leur progéniture devenir accro ou totalement dépendante (ou dépressive ou obèse selon les études…). Tiraillés par leur envie de bien faire et de protéger leurs enfants, les parents mettent inconsciemment des freins dans l’utilisation de l’iPad liseuse : difficile, à juste titre, de laisser un enfant seul avec l’iPad (ce que, d’ailleurs, déconseillent les spécialistes de l’enfance), alors que passé un certain âge, la lecture nécessite de faire le vide autour de soi.
Réinventer la page
La page reste un point de repère essentiel. C’est elle qui, aux yeux des lecteurs en herbe, qualifie le livre, et qui le différencie d’une “histoire sans page”, expression qui, dans le langage de mes petits zèbres, s’applique aussi bien au livre numérique (ou applis de lecture) qu’aux livres CD. La page n’est pas dans le flux, elle n’est pas un robinet que l’on ouvre et duquel se déversent des informations. La page est un concentré d’émotions, suscitées par tout le dispositif de la narration, y compris sur l’iPad, où “la voix” s’est peu à peu imposée pour aider les apprentis lecteurs, en se substituant à la voix maternelle. Avec l’iPad, la page s’oralise, parce qu’elle est le fruit du rapport qu’entretiennent les enfants avec l’objet iPad, objet dans lequel ils voient d’abord un moyen de s’amuser, de se divertir, en faisant intervenir leurs doigts, leurs yeux et leurs oreilles. La page numérique est une respiration, elle se tourne aussi, mais elle doit encore prendre ses marques… Ou peut-être doit-elle, pour séduire la génération qui monte mais qui lit encore peu de livres en numérique, prendre ses distances avec le papier pour se réinventer complètement, tout en conservant du sens. Peut-être faut-il, pour cela, plonger dans les racines historiques du livre et chercher du côté du volumen, rouleau de lecture, sans page, qui a précédé le codex ? Rappelons que le codex, format duquel dérive notre livre actuel, vient du latin caudex, qui signifie… tablette. La boucle (d’or) bientôt bouclée ?
Bonus
Le top 5 des petits zèbres
Huitans dévore les applis historiques de Quelle histoire, avec une préférence pour celle de Louis XIV.
Septans apprécie les contes classiques, et avoue une préférence pour Le Chat botté.
Cinqans a été très touchée par l’histoire de Thibaut au pays des livres, une jolie mise en abyme qui la fait voyager avec bonheur au pays des mots. Voyage encore, mais au pays des koalas cette fois-ci, avec L’Australie de Lulu.
Enfin, mention spéciale pour Thérèse et le coussin : c’est l’une des premières applis-livres téléchargées pour eux, et ils gardent tous les trois une tendresse particulière pour cette histoire, simple, drôle, qu’ils connaissent par coeur.
Bonus (bis)
Une vidéo très drôle pour une autre vision du livre ;-)
watch?v=pMf8DhEea1w

About Parents 3.0

Parents 3.0 est édité par Laurence Bee, journaliste, auteur de "Facebook et Twitter expliqués aux parents", et "Mon enfant dans la jungle des réseaux sociaux".

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