dimanche 25 août 2013

La vente du monde aux banquiers


CONSPIRATION

Le Trésor américain accusé d’avoir vendu le  monde aux banquiers


Philippe Vion-Dury | Journaliste Rue89   23/08/2013 

Lorsqu’il a obtenu ce mémo [PDF], l’écrivain et journaliste d’investigation américain Greg Palast « n’arrivait simplement pas à y croire ». Selon lui, ce document – qu’il affirme authentique – est digne des pires théories complotistes :
« A la fin des années 1990, les hauts fonctionnaires du Trésor américain ont conspiré en secret avec une petite cabale de gros bonnets du secteur bancaire pour tailler en pièces la régulation financière dans le monde entier. »

Capture d’écran du mémo
Greg Palast ne précise pas comment il a authentifié le document, mais avec sa longue carrière d’enquêteur pour des cabinets d’audit anti-trust et anticorruption, et de nombreuses investigations pour la BBC, The Observer et The Guardian, il ne fait aucun doute que ses preuves sont solides.

Une cabale politico-financière

VOIR LE DOCUMENT
Ce mémorandum ne serait donc rien de moins que la genèse de la crise financière mondiale et du « sang et des larmes » qui en ont coulé.
Daté du 24 novembre 1997, son auteur Timothy F. Geithner écrit à son « boss », le secrétaire adjoint au Trésor américain, Larry Summers, à propos des dernières tractations à l’OMC :
« Alors que nous entrons dans la dernière ligne droite des négociations à l’OMC sur le commerce des services, je pense que ce serait une bonne idée pour vous d’en toucher un mot avec les PDG des principales banques et sociétés boursières qui ont suivi de près les négociations. »
Timothy Geithner transmet ensuite la liste des numéros des cinq PDG les plus puissants de la planète (d’alors) : Bank of America, Goldman Sachs, ou encore JP Morgan figurent au tableau.
Le but de ces entretiens téléphoniques : préparer la dérégulation – ou ouvrir la boîte de Pandore, selon le point de vue.

Capture d’écran du mémo
Geithner assure ensuite que les estimations quant au succès des négociations peuvent être – « prudemment » – interprétées comme étant « optimistes ». Il ajoute que les entreprises du secteur sont « largement satisfaites avec les grandes lignes de l’accord ».

Acte I : briser la régulation

De quoi ont-ils tous discuté après, le mémo ne le précise pas. Mais Greg Palast explique la suite des évènements qu’il présente comme un « coup d’Etat financier global » pour déréguler d’un seul coup toutes les banques à travers le monde – et les placer sous la domination des vautours américains.
Il fallait d’abord briser le mur entre banque de dépôt et banque d’investissement instauré par le Glass-Steagall Act de 1933 – et censé empêcher une nouvelle « Grande Dépression ». Cela tombe bien : en 1997, le mur est déjà très poreux et les exceptions à la règle pleuvent.
Le Trésor américain, de son côté, fait rempart à toute tentative de régulation des produits dérivés financiers. Dans la foulée, le président Clinton déclareraque la loi « Glass-Steagall Act n’est plus appropriée ». Deux ans plus tard, son abrogation signifiera le début du règne de la dérégulation financière.

Acte II : briser les frontières

L’acte deux est plus délicat et franchement machiavélique, comme l’explique le journaliste :
« Mais pourquoi donc transformerait-on les banques américaines en casinos à produits dérivés si l’argent s’enfuit vers des nations où les lois bancaires sont plus sûres ? La réponse conçue par le top 5 bancaire : éliminer les contrôles sur les banques dans toutes les nations de la planète – d’un seul coup. C’était aussi brillant que terriblement dangereux. »
Le Trésor américain à la solde du lobby bancaire s’est donc servi des négociations sur le nouvel accord de l’OMC. L’Accord général sur le commerce des services (AGCS) sera conclu en décembre 1997, un mois après le mémo, et entrera en vigueur en 1999.
Alors que l’OMC ne prenait en compte jusque-là que les marchandises, l’AGCS pave la voie au commerce d’instruments et actifs financiers qui seront largement responsables de la crise actuelle.
La boîte de Pandore est maintenant grande ouverte :
« Parmi les célèbres transactions légalisées : Goldman Sachs (le secrétaire du Trésor Rubinen avait été vice-président) a travaillé avec la Grèce sur un swap d’obligation qui, finalement, a détruit cette nation.
L’Equateur, une fois son secteur bancaire dérégulé et démoli, a été ravagé par des émeutes.
L’Argentine a dû vendre ses entreprises pétrolières et ses réseaux d’approvisionnement en eau alors que ses professeurs cherchaient leur subsistance dans les poubelles. »

Les joueurs, eux, n’ont pas connu la crise

Pour l’auteur, Larry Summer est le « serpent » et Geithner son « valet » chargé de « transformer les accords en bélier pour les banquiers ». Comble du cynisme, il souligne le parcours professionnel des différents acteurs impliqués dans la manœuvre :
  • Robert Rubin, secrétaire au Trésor en 1997, a pris la tête du Citigroup dont la création a été permise par la dérégulation de la finance. Alors que cette « monstruosité financière » a coulé en 2008 suite à une chute de son action de 70%, Rubin a tiré son épingle du jeu avec 100 millions d’euros sous le bras ;
  • Larry Summers remplace son mentor Robert Rubin à la tête du Trésor américain sous l’administration Clinton. Il prend ensuite la tête de Harvard tout en travaillant en tant que conseiller pour des « hedge funds » et en donnant des conférences à 135 000 dollars pour JP Morgan, Goldman Sachs et d’autres, acroissant sa fortune de quelque 23 millions d’euros. Il devient en 2009 un des conseillers spéciaux d’Obama et prend la tête du Conseil économique national. Il est maintenant pressenti pour prendre la tête de la Réserve fédérale américaine.
Greg Palast relativise cependant l’importance du mémo :
« Est-ce que tout ce mal et cette souffrance proviennent d’un seul mémo ? Non, bien entendu : le mal était la partie elle-même, jouée par la clique des banquiers. Le mémo révèle seulement leur tactique de jeu pour mettre échec et mat. »

mercredi 21 août 2013

Steve Jobs


Steve Jobs, génial hacker devenu réac

Sommaire : La biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson m'a fait me poser cette question simple : et si Steve Jobs n'était pas celui que l'on croyait ? Derrière le visionnaire se cachait certainement un réac. Pour mieux servir sa mission révolutionnaire.
La biographie de Steve Jobs par Walter Isaacson dont les "meilleures feuilles" se révèlent dans de multiples blogs et magazines (heureusement qu'elle fait 600 pages sinon je pense que vous pourriez l'avoir pour presque rien en compilant tous les sites web qui en parlent) m'a fait me poser cette question simple : et si Steve Jobs n'était pas celui que l'on croyait ?
Quand on passe en revue ce testament-évangile, on constate que l'homme était d'une grande complexité, mais aussi d'une finesse exemplaire. Et qu'il provoquait autant la peur que le respect. Après tout, un type qui a réussi à provoquer quatre révolutions dans des domaines aussi différents que l’informatique, la musique, le dessin animé et la téléphonie, tout en côtoyant deux fois la mort, pouvait se permettre de faire comme ça lui chantait.
Il est différent. He thinks different.
Steve (je l’ai croisé, c’est donc un intime désormais, de ceux que l’on appelle par leur prénom tellement on a la sensation de les connaître par cœur) a commencé hacker, inventeur avec son pote Wozniak (le véritable geek de l’histoire) de la bluebox, un petit appareil qui permettait de téléphoner dans les cabines téléphoniques pour gratuit. C’était pour la bonne cause ! Gagner quelques dollars, s’acheter des composants électroniques et créer le premier Apple.
La Pomme a donc dans ses gênes l’illégalité et la rébellion. Elle n’hésite pas à sortir des sentiers battus, Jobs incarne parfaitement ce mélange subtil de créatif intuitif au sens marketing aiguisé, nourri aux fibres équilibrées, aux incantations hindouistes, au LSD et aux influences artistiques les plus diverses. Il s’en expliqua d’ailleurs dans une interview, véritable moment de vérité pour comprendre ce qui anime la vision du bonhomme : l’obsession du Beau, de la culture, des influences. Quitte à en faire une religion monothéiste et rigoriste sur la fin de sa vie.


Car, toujours dans ce même moment de confession intime, il laisse tomber le masque et fait comprendre que pour réussir, il faut non seulement être sûr de soi mais aussi ne pas hésiter à piller les autres (ce qui, venant de quelqu’un qui critiqua Microsoft pour cela durant des années, est assez cocasse mais pas infondé) :


Cohérent, me direz-vous ? Certes, pirate un jour, pirate toujours. Mais le rebelle allait peu à peu laisser place à  l’intraitable et impitoyable homme d’affaires Jobs prenant le pas sur le bohème et idéaliste Steve.
La “grande bascule” iconique eu lieu à son retour aux affaires, après s’être fait virer comme un malpropre de sa propre société par des costards cravates qu’il avait lui-même recruté. C’est là qu’entre en jeu la rage : une lucidité cynique se fait jour dans son esprit, il est de retour et va leur montrer ce dont il est capable. Il va leur expliquer, à ces ignares qui ont failli croquer la pomme jusqu’au trognon, ce que c’est que changer de paradigme à coup de design et de technologie. Place à la revancheau sentiment de toute puissance qui va se nourrir de ses succès planétaires que sont l’iPod et l’iPhone, ces icônes de l’ère numérique, qui va relancer Apple et le placer au centre du jeu.
Ainsi, Steve devenu Jobs (ou assumant de le devenir), perd ses cheveux, se forge une image désormais mondialement connue, et développe son côté grippe-sou (pas de dividendes de distribués, tout est mis en trésorerie) pour éviter de revivre le cauchemar d’Apple sans le sou et à l’agonie, sauvé par son ennemi Microsoft).
Dernière touche au tableau : l’immortalité temporaire. Imaginez : vous êtes victime d’un accident de voiture, vous en réchappez. Qu’allez vous faire ? Vous dépêcher de réaliser tout ce que vous n’avez pas eu le temps de faire jusqu’à présent. Vous relativisez et foncez. Idem pour Steve Jobs : il passe deux fois très sérieusement à côté de la mort, ce qui va lui renforcer ses convictions et son besoin d’être intraitable pour réaliser ce à quoi il croit.
Tout ça, ça vous marque un homme. Surtout qu’il se rend compte d’une vérité atroce et ultime : les gens aiment être guidés. Ils ont besoin d’avoir des repères, des gourous. Ils sont prêts à toutes les concessions si on leur procure une contre-partie de bien-être. C’est un animal dominé par son cerveau reptilien mâtiné de pyramide Maslow. Jobs croit en l’intelligence, et veut que le plus grand nombre accède à son Graal informatique. Quitte, paradoxalement, à les aliéner.
Pour leur bien ! Mais oui, c’est pour les aider ! Les convaincre du bon choix ! Microsoft vs Apple, c’est du passé ! Qu’importe la plate-forme, ce qui prime c’est ce qui transcende l’expérience utilisateur, ce qu’il ressent, qui fait qu’il va vibrer en utilisant un outil électronique froid et déshumanisé. Jobs, de par son histoire personnelle, à l’orée de sa vie, à compris cela et à trouvé comment il fallait faire. Plus personne ne doit donc se mettre en travers de son chemin.
Sa vision est transcendée par un monde précis, où Apple règne au centre du système pour aider chacun à mieux communiquer et créer, et tant pis s’il faut faire le ménage et construire un monde à la Disney d’où le moindre téton est exclu (sauf les applications Playboy, faut pas déconner non plus, business is business), où des règles très précises d’ergonomie sont à respecter, où l’on tape sur certains membres de sa communauté (ceux qui osent utiliser l’image ou les marques d’Apple), où on impose des standards car on pense que c’est mieux ainsi (la bataille contre Flash, qui est aussi un succédané de l’époque où Adobe snobait Apple), où le secret est érigé en règle absolue, où on résume l’informatique à des icônes et des jukebox d’applications bridées dans leurs fonctionnalités par  la Pomme, où des règles obscures régissent l’inscription ou le rejet d’une création au grand registre iThunes de l’AppStore.
Qu’importe. C’est à ce prix que la prophétie pourra s’accomplir, celle d’un monde où ça sera l’humain qui utilisera pleinement un ordinateur sans devoir se plier à des logiques abscons. S’il faut devenir un réac de première, Steve a choisi. Il le deviendra. Pour mieux réaliser ce à quoi le hacker génial a rêvé.

A propos de 

Expert en innovation et nouveaux médias, notamment sociaux, Damien Douani explore le high tech, le marketing et les usages depuis plus de 13 ans d'Orange à blueKiwi. Early adopter et "Geek" assumé, blogueur, conférencier, il a créé FaDa social agency pour accompagner les marques et les entreprises dans les mutations digitales.