Le
secteur européen du textile est une des premières victimes de la globalisation
et de la discrimination par les prix. Les plus importants marchés du textile
sont l’Europe (135 milliards d’euros), les USA (100 milliards d’euros) et la
Chine avec le Japon (35 milliards d’euros). Dans cet environnement
hyperconcurrentiel, les marques comme ZARA et H&M ont compris la nécessité
d’entreprendre d’importants changements afin de rester compétitives. Ces
entreprises partagent peu de caractéristiques si ce n’est qu’elles distribuent
des produits à la pointe de la mode à un très large public
Les
entreprises de l’industrie du textile évoluent donc dans un environnement
chaotique. En effet, la mode est, par définition, en mouvement constant : elle
représente les goûts du moment. En plus de l’incertitude liée au temps, il
existe de nombreuses autres variables dont il faut tenir compte lors de
l’élaboration de la stratégie de l’entreprise. Alors comment combattre ces
phénomènes ? Pour parvenir à séduire la clientèle et à s'imposer dans un
secteur hyperconcurrentiel ils n'emploient pas les mêmes stratégies. Gestion
d'entreprise, production des collections, marketing et communication, tout
oppose les deux enseignes.
Pour
se protéger d’un marché de la mode incertain, ZARA a, par exemple, choisi une
stratégie propre qui tranche avec celle de ces principaux concurrents. C’est
l’intégration verticale de la chaîne de valeur. Cette stratégie est possible
grâce à une organisation et une logistique millimétrée. Tout cela permet à ZARA
de pratiquer un management de la rareté, c'est-à-dire que le renouvellement des
collections est quasi mensuel.
Parallèlement,
H&M surfe sur une nouvelle tendance appelée « masstige ». En pratique, ce
phénomène permet aux consommateurs de s'offrir un produit griffé à un prix très
accessible. Le terme "masstige" provient de la contraction de deux
mots : « mass market » et « prestige ». Le masstige, c'est donc l'alliance
d'une marque prestigieuse et d'une marque de grande consommation.
En
2004, c’est avec Karl Lagerfeld que H&M s’est associé pour proposer une
toute nouvelle collection. Ainsi, la marque issue de l'univers de la grande
consommation voit le nombre de ses ventes considérablement augmenter, surtout
lorsqu'en amont une campagne de publicité est astucieusement orchestrée. Quant
à la marque dite de prestige, cette opération lui permet de faire connaître sa
griffe, son univers à un plus large public en lui donnant, dans le même temps,
l'illusion d'entrer dans le monde très convoité du luxe. Ce phénomène, s'il
devient de plus en plus courant, n'est pas totalement nouveau puisque dans les
années 90 déjà, de grands couturiers tels que Karl Lagerfeld et Sonia Rykiel
posèrent pour une campagne de publicité Kookaï. Depuis, les cas de masstige se
multiplient dans la mode avec notamment Jean-Paul Gaultier qui a dernièrement
revisité sa célèbre marinière pour La Redoute (catalogue été 2004) et, plus
récemment, Madonna pour H&M.
Le
luxe et la grande consommation ne sont donc pas deux mondes aussi antinomiques
puisque l’on retrouve certaines caractéristiques qui définissent le luxe aussi
bien chez ZARA que H&M. Au travers de l’exemple de ces deux entreprises nous
essayerons donc de comprendre quelles sont les méthodes de la démocratisation
du luxe. Autrement dit, quels sont les leviers sur lesquels les entreprises du
textile peuvent jouer pour proposer des vêtements à forte valeur ajoutée pour
le consommateur tout en maintenant une politique tarifaire au plus bas ?
LE MODELE DE ZARA
Créée
en 1975 par Amancio ORTEGA, la marque de vêtements ZARA s’est développée
jusqu’à devenir aujourd’hui un véritable empire textile valant plus de 9
milliards d’euros. Le modèle d’affaires de ZARA est de réduire au minimum les
cycles de production pour les produits les plus « mode » grâce à une chaîne
logistique tendue vers la réactivité, le but étant d’offrir à leurs clients des
produits de qualité qui suivent ou même devancent la mode à un prix modéré. Le
modèle est unique en son genre.
Alors
que toute l’industrie textile ne jure que par la délocalisation, ZARA fabrique
en Espagne un peu plus de la moitié de ses articles, les plus mode. Le reste,
les basiques, sont délocalisés, mais à plus de 70% en Europe. L’enseigne gère
également en direct ses 625 magasins.
Contrôler
à la fois la production et la distribution lui donne de nombreux avantages :
· une parfaite optimisation des flux d’information
circulant d’un bout à l’autre de la chaîne
· limiter les risques de stocks, et les délais grâce à une
politique des séries
· limitées (marketing de la rareté)
· pouvoir livrer tous ses magasins depuis leur usine à La
Corogne, grâce à son
· système de production centralisée (l’enseigne limite
ainsi les niveaux intermédiaires, réduisant les stocks incompressibles, et les
délais)
EMERGENCE DU MODELE ZARA
Toute
société du secteur textile doit répondre à l’incertitude d’une clientèle très changeante
ainsi qu’aux aléas climatiques. Le risque majeur étant que la production ne
trouve pas son marché. De plus, ZARA est confronté à une double concurrence :
· celle des produits basiques en provenance de pays de
production à bas coûts ;
· celle d’entreprises mondiales sur les produits de gammes
supérieures telle que
H&M.
Dans
ce contexte, la concurrence frontale avec les produits bon marché est
impensable. La seule solution est de proposer des produits de gammes
supérieures en se différenciant le plus possible. ZARA doit donc devenir le
marchand le plus rapide d’Europe. Pour cela, ZARA impose un renouvellement
permanent des collections à ses concurrents et offre, ainsi, la dernière mode
au meilleur prix.
II. UNE METHODE A PART DANS LE SECTEUR DU TEXTILE
A. Rompre avec les saisons, être le plus rapide
1. La production locale et l’intégration verticale
Pour
être le plus réactif possible dans ce marché concurrentiel, ZARA a choisi de
privilégier la production locale et l’intégration verticale. En effet, ZARA a
choisi de regrouper ses activités près de son siège à la Corogne en ayant pour
objectif un gain de temps et un meilleur contrôle. La production est en lien
direct avec le pôle de création qui compte 400 stylistes. ZARA a également
investi dans des appareils de coupe dernier cri qui fonctionnent jours et nuits
: 200 000 unités sortent chaque jour des usines ZARA. Ces appareils entièrement
automatisés peuvent tailler n’importe quel dessin à partir des patrons qui leur
sont transmis numériquement. Enfin, la confection est réalisée par un réseau
d’ateliers exclusifs qui apportent le savoir-faire et complètent la flexibilité
de ZARA. Il est, en effet, hors de question pour ZARA de perdre du temps avec
de multiples intermédiaires, c’est pourquoi, ZARA traite directement avec son
réseau de fournisseurs attitrés.
2. La puissance logistique
A
peine produits, les articles transitent par le centre logistique de La Corogne.
Les chiffres sont éloquents : 1 million d’articles par semaine sont traités par
cette plate-forme au travers d’un réseau de 200 kilomètres de câbles aériens
sur une surface de 400 000 m2 entièrement automatisés. L’atelier est
intégralement vidé 2 fois par semaine.
3. Le contrôle de la distribution
Même
au bout de la chaîne, ZARA garde le contrôle. En effet, ZARA est propriétaire
de la quasi intégralité de ses magasins, tous placés dans des endroits
stratégiques. Les avantages sont nombreux, et notamment, un contrôle total de
son image et une grande réactivité.
Tous
ces éléments assemblés permettent à ZARA d’offrir aux consommateurs 12
collections par an là où ses concurrents ne peuvent en distribuer que 3 ou 4.
Une saison dure donc, chez ZARA, un mois et colle voire devance la mode !
4. Un leadtime de 15 jours
C’est
le délai minimal qu’il existe entre la création et la mise en rayon. ZARA met
seulement 15 jours pour dessiner de nouveaux modèles, les fabriquer et les
livrer dans n’importe quel magasin dans le monde. Les différentes étapes de ce
lead time sont les suivantes :
· J-15 Création Un styliste dessine le modèle en
s’inspirant des vêtements de luxe et des attentes des clients.
· J-13 Coupe La coupe des tissus gérée par ordinateur, a
lieu dans une usine appartenant au groupe de La Corogne.
· J-5 Confection Cousu par un sous-traitant, le vêtement
revient ensuite dans une usine maison pour les finitions.
· J-3 Expédition Le départ se fait par camion si le
vêtement est destiné à l’Europe, par avion s’il va en Asie ou aux Etats-Unis.
· J-0 Mise en vente Une heure avant l’ouverture, les
vendeurs étiquettent le modèle livré au petit matin et l’installent en rayon.
La
flexibilité de la chaîne logistique permet donc de proposer un produit « en
vogue » et toujours plus nouveau par rapport aux concurrents. Zara bénéficie
donc d’une image de marque mode et gagne ainsi quelques parts de marchés
supplémentaires. Cela permet aussi de réduire les coûts : l’amélioration de la
marge donne un avantage prix à ZARA qui permet aussi de gagner des parts de
marchés supplémentaires. Le tout contribue à une expansion agressive de la
marque.
B. Marketing de la rareté
Une
collection qui colle à la demande grâce à l’intégration d’un système
d’information performant et d’un outil de production dernier cri, les
collections ZARA ont toujours trouvées leur public. Une optimisation des
allers-retours ZARA optimise la fréquence des visites de ces clients (entre 8
et 12 visites par an).
Le
client ZARA vient donc souvent pour profiter des dernières nouveautés et achète
en petite quantité (2 à 3 articles par visite) Le renouvellement des
collections est tel que ZARA fait très peu de publicité et n’a quasiment aucun
stock : c’est le marketing de la rareté.
III. ANALYSE DE LA CHAINE DE VALEUR
Le
succès de ZARA s’explique notamment par son organisation : ZARA maîtrise ses
approvisionnements en intégrant tous les éléments de sa chaîne de valeur.
Avec
un système d’information intégré à toute sa filière, ZARA a développé une telle
excellence dans la gestion de sa chaîne logistique, qu’il est devenu un modèle
pour de nombreux PDG, désireux d’améliorer la performance de leur entreprise.
L’innovation
technologique contribue largement à la création de nouvelles opportunités
d’amélioration de la chaîne de valeur en mettant à disposition du management
des outils permettant de capturer, partager et analyser les données et
informations nécessaires pour synchroniser les processus de l’ensemble de la
chaîne opérationnelle. Enfin, le contexte actuel de ralentissement économique
et le secteur textile hyperconcurrentiel renforcent les actions de réduction
des coûts notamment de la chaîne logistique et industrielle. Tous ces facteurs
expliquent une nouvelle fois les choix de ZARA et contribuent à renforcer
l’attention que portent certaines directions générales à intégrer la chaîne de
valeur.
A. Les grands principes de l’intégration verticale de la chaîne de
valeur textileL’intégration de la
chaîne de valeur permet d’optimiser les échanges tout au long de la chaîne
logistique- du fournisseur au client- en améliorant la réactivité et les
performances de l’entreprise. Outre la recherche de diminution des coûts et des
besoins de financement issue d’une rotation plus rapide des stocks, l’objectif
principal visé est l’amélioration du niveau de service à la clientèle grâce à
la disponibilité des produits attendus, dans un large réseau de distribution (y
compris à terme l’e-commerce), un renouvellement fréquent de l’offre tout en
conservant les best-sellers et les basiques, un service après vente efficace.
Les
entreprises engagées dans l’intégration de la chaîne de valeur doivent respecter
certaines règles de bases.
· la gestion des stocks ne vise pas leur réduction
systématique mais leur optimisation. Il faut éviter les ruptures de stocks et
saisir les opportunités de baisse des prix des matières premières.
· pour atteindre la satisfaction client, la première règle
réside en la capacité du groupe à assurer la disponibilité des produits
attendus dans les points de vente et aux périodes clés. Cela vise ainsi à
minimiser les délais de livraison sur toute la chaîne logistique.
· ce modèle impose une transformation des modes
d’organisation interne et externe de l’entreprise. La réussite de tels projets
passe donc par une structure transversale afin de faciliter la circulation des
flux d’information.
B. L’intégration de la chaîne de valeur selon ZARA
1. Unsystèmed’informationpuissant
Chaque
jour, l’information remonte jusqu’au siège de la Corogne et permet à la
direction de voir les modèles qui marchent et qui ne marchent pas. Le reporting
journalier ne serait rien grâce à la réactivité dans la gestion des
approvisionnements et dans la réalisation des commandes. Pour atteindre un
process de 15 jours entre la décision de créer un produit et sa mise en vente
dans les magasins, l’ensemble de la filière et les sous-traitants exclusifs
sont intégrés grâce à un ECR (efficient consumer response).
Les
sous-traitants et fournisseurs sont donc reliés en permanence avec le siège et
travaillent en exclusivité pour ZARA. Ils peuvent donc répondre immédiatement à
la demande (contrairement à d’autres groupes qui ne travaillent pas en
exclusivité et qui doivent attendre leur tour sur les plannings des sous-
traitants ; entre 2 et 3 mois).
Pour
éviter les freins de résistance, car quand il y a commerce il y a forcément
négociation entre l’acheteur et le fournisseur ou prestataire ; ZARA dans son
process doit avoir négocié les prix avant de passer commande. Le groupe a donc
mis en place des cross functionnal team. Ces équipes transversales suivent la
chaîne de valeur, négocient régulièrement les coûts et les prix. Elle traverse
toute la chaîne d’approvisionnement et repère les dysfonctionnements qui
feraient perdre du temps. Ces équipes permettent aussi de transférer les stocks
des invendus de magasins en magasins. Aucun article ne revient dans les dépôts
de ZARA.
2. La chaîne logistique
La
chaîne logistique est surdimensionnée pour répondre aux pics de demande. ZARA
optera pour l’avion contre le bateau. Après que les articles soient conçus ils
sont emmagasinés dans deux centres logistiques, un se situe à la Corogne
l’autre à Saragosse. Ces énormes centres de 400000 m2 et qui ont coûté à ZARA
100 millions € par centre sont vidés entièrement deux fois par semaine. Il faut
24 à 48 heures pour que ZARA atteigne partout dans le monde un de ces magasins
à partir des centres logistiques. Ensuite les articles sont éclatés au niveau
des HUBS vers les magasins.
3. Le réseau de distribution
Propriétaire
de 475 magasins sur plus des 500 magasins ZARA, le groupe a fait le choix de la
maîtrise du réseau de distribution. Chaque année, le groupe réinvestit 80 % de
son résultat dans la distribution. Ceci explique une croissance d’activité plus
lente que prévue. De plus le choix des magasins est primordial en particulier
dans la localisation géographique. ZARA veut les meilleurs emplacements en
centre ville. Cela évite ainsi d’avoir à faire des campagnes de publicité et
les consommateurs ne peuvent éviter de passer devant un magasin ZARA.
LE MODELE DE H&M
En
novembre 2004, la chaîne de magasins H&M a réalisé une opération
commerciale osée et innovante. L’enseigne a soigneusement préparé un « coup »
qui bouleverse les cadres et les frontières de l’univers du luxe et de la
distribution spécialisée. Pendant quelques jours, le distributeur de vêtement a
commercialisé une ligne de d’articles dessinée par le couturier Karl Lagerfeld
dans 20 pays (Europe et Amérique du Nord).
I. LES LEVIERS DU
MARKETING DU LUXE
Pour
définir un produit de luxe, on considère généralement 5 critères majeurs :
· une supériorité technique ou technologique
· une valeur esthétique
· un phénomène de rareté
· un prix relativement élevé
· une représentation symbolique amenée par l’image de la
marque
Ces 5
leviers constituent les fondements du marketing du luxe. Chaque Maison les
actionnent ensuite différemment en fonction de la segmentation de son marché et
de ses cibles. Cependant, la collaboration entre H&M et Karl Lagerfeld
brouille les fondements de ces stratégies traditionnelles. Le cobranding repose
en effet sur un genre nouveau : baisser fortement le levier « prix » et
actionner à fond le levier « représentation symbolique ». Le tout est associé
avec une dramatisation commerciale forte, notamment à travers un effet rareté.
A. Prix serrés pour une collection griffée
Le
concept d’ H&M est proche de celui de son confrère suédois Ikea. Son
business model repose sur la vente de produits au design innovant mais à un
prix raisonnable.
L’activité
d’enseignes comme le suédois H&M, les espagnols Zara et Mango et
l’américain Gap est aussi décrite comme du « fast fashion ». Cela caractérise
des articles vite achetés, vite délavés et vite jetés. Maragreta Van den Bosch,
responsable du design pour H&M, présente les clef de réussite d’une telle
activité : « avoir peu d’intermédiaires, acheter des tissus en volumes
importants et utiliser un système de distribution bien rodé ». La collaboration
entre H&M et Karl Lagerfeld s’appuie sur le positionnement prix de
l’enseigne. Les articles dessinés par le couturier ont été proposés à la vente
à des prix comparables aux autres produits textiles de l’enseigne.
Avec
un tel positionnement tarifaire, H&M créé un premier brouillage des
frontières dans la tête des consommateurs. Ces derniers peuvent se procurer des
articles
qui ne sont pas des imitations mais des articles s’inspirant du haut luxe,
dotés d’une valeur esthétique élevée, mais à des prix accessibles. En
marketing, on considère habituellement que le segment du « haut luxe
traditionnel », dont fait partie la haute couture et une Maison comme Chanel,
commence à partir de la somme de 2 000 euros. Chez H&M, la collection
dessinée par Karl Lagerfeld a été commercialisée avec un prix plancher fixé aux
alentours de 20 euros.
B. Origine du succès de l’opération
La
représentation symbolique est un ensemble non objectivable. Elle est constituée
d’un ensemble d’images et de mots déclenchés par la perception d’un objet,
d’une personne ou bien l’évocation d’un nom. Cette sensation fait appel aux 5
sens, est activé de manière inconsciente et s’appuie sur des référents matériels
et immatériels. En marketing du luxe, la symbolique rassure et légitime
l’appartenance du consommateur à un univers haut de gamme. Elle légitime aussi
le supplément de prix.
Karl
Lagerfeld est une personnalité complexe et très riche. Dans l’imaginaire collectif,
il a su capitaliser l’attention du consommateur pour deux raisons majeures:
· il est tout d’abord associé à la maison Chanel depuis
1983
· c’est une personnalité complexe, médiatique et plutôt
excentrique.
En
l’occurrence, H&M apparaît comme un effet d’aubaine pour le consommateur
ordinaire. En proposant une collection signée Karl Lagerfeld dans ses
linéaires, l’enseigne permet à des segments de population à revenu moyen de
rentrer en contact avec l’univers complexe des symboles associés au couturier.
Il y a en premier lieu la maison de couture Chanel mais aussi le luxe, la
recherche de l’élégance, la femme parisienne, le bon goût, son égérie
Claudia
Schiffer... Karl Lagerfeld décrit sa collaboration comme le fait de « faire du
snobisme à l’envers en donnant à l’accessible ses lettres de noblesse » ou
encore « s’offrir l’idée d’un univers ». Pour Christian Bagnoud, directeur
marketing d’H&M Canada, « beaucoup de clients sont motivés par le fait
d’acheter un article dessiné par Karl Lagerfeld mais ses créations sont, en
règle générale, très chères. Maintenant, tout le monde peut se le permettre ».
C. Marketing de la rareté
Officiellement,
l’équipe de Karl Lagerfeld n’avait pas prévu qu’ H&M créée un « phénomène
collector » autour de cette collection. En effet, le groupe suédois a organisé
la rareté et, à titre d’exemple, on peut évoquer les chiffres de la production
France de la fameuse veste à paillettes qui s’élèvent à 300 unités pour 28
magasins. La stratégie de communication d’H&M s’appuie sur la rareté. Dans
son plan média précédant l’événement, la marque utilise un effet d’annonce bien
orchestré mais classique. Nous avons évoqué dans les paragraphes précédents en
quoi les leviers « prix » et « symbolique » sont les facteurs clés de succès de
la campagne amont. La stratégie aval, elle, permet de faire parler de
l’enseigne après l’événement.
En
l’occurrence, on peut évoquer l’article du quotidien Libération présentant
l’opération commerciale comme un compte à rebours. L’article décrit la ruée des
consommateurs (ou plutôt, des consommatrices) dans des magasins H&M
parisiens. Ainsi, on apprend que « les premiers sont arrivés à six heures du
matin », « les vendeurs montrent leurs mains couvertes d’égratignures et osent
à peine ramener quelques vêtements de la réserve ». En outre, le magasin de la
rue de Rivoli est « dévalisé en 13 minutes ». Cet étalement de la période de
communication est stratégique pour le groupe. En effet, il met en avant la
dynamique commerciale d’H&M dans 20 pays d’Europe occidentale et d’Amérique
du Nord et relève de plusieurs objectifs à caractère économique et financier.
Derrière le « coup commercial », on trouve des motivations liées au fait que :
· de nombreuses analyses s’accordent à dire que le groupe
suédois peine à s’imposer sur le marché américain malgré un marketing de masse
(la taille de certains magasins a été réduite et la succursale de Chicago a été
fermée)
· l’enseigne cherche à développer sa notoriété à l’échelle
mondiale dans la perspective de nouvelles implantations
· l’enseigne cherche à renforcer son image de marque à
travers un positionnement marketing milieu de gamme chic et abordable
II. LACOLLABORATIONAVECKARLLAGERFELD
A. Quand l’offre rencontre la demande
Quand
on étudie le comportement des acheteurs de luxe aujourd’hui, on observe le
passage d’une consommation quotidienne par une élite à la consommation
ponctuelle d’un très grand nombre. Au delà de cette tendance, on observe aussi
ce que Karl Lagerfeld lui-même appelle une « troisième voie » qui consiste à «
mélanger des choses chères et pas chères ». Martine Leherpeur, dans L.S.A,
parle de « diagonale du fou » avec « un consommateur qui est le matin chez Dior
et le soir chez H&M ». Le succès de la collaboration entre Karl Lagerfeld
et H&M est symptomatique de cette nouvelle façon de consommer. Elle utilise
une évolution des modes de consommation pour bâtir une stratégie: les
consommateurs mélangent les segments du luxe traditionnel et le distributeur
tente de répondre à ce besoin, quitte à brouiller les repères traditionnels. Au
final, l’enseigne espère que la force de la représentation symbolique couvre la
désacralisation par le prix.
Pour
la clientèle régulière d’ H&M, le cobranding avec Karl Lagerfeld est
globalement positif. Même si l’enseigne suédoise a utilisé une stratégie
marketing agressive, le consommateur a la sensation de sortir gagnant de
l’opération. Nous avons évoqué précédemment l’effet d’aubaine que constitue
cette possibilité de rentrer en contact avec l’univers du luxe.
En
outre, au-delà du renforcement de l’image de marque, le succès de l’opération
laisse présager de nouvelles collaborations entre le distributeur et des
couturiers célèbres. Le consommateur est tenu en haleine. D’ailleurs, une
collaboration avec Stella McCartney a eu lieu un an après.
B. Un avantage compétitif pour le consommateur.
En
décembre 2004, H&M a annoncé une croissance de ses ventes en novembre 2004
de 24% par rapport à novembre 2003. Il s’agit de la plus forte progression
mensuelle du groupe depuis octobre 2002. L’effet de la collection « Lagerfeld
for H&M » pèserait de l’ordre de 6 à 8 points de ces 24%. Globalement, le
distributeur a fortement profité de l’opération commerciale « Karl Lagerfeld
for H&M ». Nous avons également évoqué précédemment que la stratégie de
communication entourant le cobranding était un signe fort pour l’enseigne, en
particulier dans le cadre de sa stratégie d’expansion.
Cependant,
il est intéressant de revenir sur l’image prix du distributeur. Juliette
Garnier, dans la revue LSA, évoque « la bipolarisation du marché de
l’habillement autour du luxe et de l’entrée de gamme, fragilisant les marques
et les enseignes moyen de gamme ». Pour des enseignes comme H&M, ZARA ou
encore MANGO, il est nécessaire de casser ce positionnement en milieu de gamme
:
· soit en tirant le positionnement commercial par le haut
(bien-aller, bien coupé, bien stylé, bon tissu, prix juste...)
· soit en tirant le positionnement commercial vers le bas
(le moins cher, merchandising réduit, moins de style, moins de qualité)
· soit en maintenant une position médiane qui joue « le
plus » par rapport aux hard discounters (plus de mode, plus de renouvellement,
plus de plaisir d’achat, plus de segmentation...)
H&M
a une stratégie qui s’inscrit dans ce dernier segment. L’enseigne n’a pas
intérêt à relever son positionnement tarifaire mais elle se doit de maintenir
une image qualitative forte, tendant vers le haut de gamme (réellement ou
fictivement). En l’occurrence, la collaboration avec des couturiers reconnus
sert cet objectif. Le cobranding permet de concilier les paramètres prix et
qualité. Dans ce cadre, un facteur clé de succès majeur réside dans la capacité
de l’enseigne à traduire les tendances en collections pour le grand public.
Jusqu’à aujourd’hui, c’est ce qui a permis l’expansion du groupe suédois.
C. Une logique win-win
Un
cobranding est une collaboration entre deux parties et suppose une logique
win-win afin d’en tirer la pleine quintessence. Tout d’abord, pour Chanel, Karl
Lagerfeld lui-même reconnaît que des retombées commerciales ne sont pas à
exclure. Le couturier déclare ainsi que « celles qui vont acheter Karl
Lagerfeld chez H&M ont aussi envie d’un rouge à lèvres ou d’un parfum
Chanel ». Le « brand stretching » de la maison de haute couture lui permet d’être
présent sur les segments du haut luxe mais aussi du luxe intermédiaire et du
luxe accessible. C’est ce dernier qui peut bénéficier au mieux des retombées du
cobranding Lagerfeld-H&M.
Quant
à l’image de marque de la maison de haute couture, les segments de clientèle «
exclusifs » ou « réguliers » (en particulier la clientèle « bourgeoise »), la
collection « Lagerfeld for H&M » est assimilée à une forme de
diversification que la marque mère Chanel pratique déjà sous d’autres formes.
Savoir innover, oser et dépasser les préjugés est un gage de dynamisme en
économie. Ces règles s’appliquent aussi dans le secteur de la mode, mais à des
degrés variés bien entendu. Ensuite, pour le couturier, la collaboration avec
H&M est une opportunité supplémentaire pour avoir accès aux médias et se
livrer à son jeu favori : la provocation.
III. UN INTERET CROISSANT POUR LE « MASSTIGE »
L’opération
commerciale que nous étudions n’est pas un phénomène isolé. Elle s’inscrit
comme une nouvelle façon de consommer. En l’occurrence, il s’agit d’un intérêt
croissant des consommateurs de masse pour les marques de luxe. Ce terme est
issu de la contraction de « mass market » et « prestige ».
Dans
leur cobranding, H&M et Karl Lagerfeld ont utilisé l’ensemble des facteurs
clés de succès du masstige qui sont constitués de :
· collaboration entre une marque de luxe et une marque de
grande consommation
· adoption de codes de communication propres à la grande
consommation et adaptation de ceux-ci en fonction des marchés (les marques de
luxe n’utilisent, en général, qu’un seul discours pour le monde entier)
· caractère éphémère des opérations commerciales qui
s’appuient énormément sur l’effet d’annonce ;
· appel aux créateurs des grandes maisons de couture cible marketing plus jeune et plus féminin
que pour les produits de luxe
Ainsi,
on note qu’ H&M a su dans un premier temps comprendre la nouvelle tendance
de consommation et dans un deuxième temps utiliser à bon escient l’ensemble des
facteurs clés de succès du masstige. Il reste cependant à voir désormais
quelles peuvent être les limites de cette évolution de l’offre et de la
demande.
CONCLUSION
Nombre
de magasins quasiment identiques, segments concurrents, chiffres d'affaires
similaires : depuis une décennie, H&M et Zara se concurrencent avec des
méthodes de marketing radicalement opposées.
D’un
coté, ZARA et son modèle stratégique de l’intégration verticale, réussit à
offrir aux consommateurs des vêtements toujours à la pointe de la mode tout en
ne communiquant quasiment pas. En effet, seulement 0.3% de son chiffre
d’affaires est dépensé pour la communication contre 3.5% pour H&M. Cela
s’inscrit sans doute dans un politique de maîtrise parfaite des coûts sachant
que le géant espagnol internalise plus de 60% de sa production.
Pourtant,
cela ne l’empêche pas d’être un des leaders de son marché, en proposant des
renouvellements de gamme tous les mois. Ce système a pu réussir en grande
partie grâce au bon fonctionnement de leur système d’information mais aussi
grâce aux nombreux designers qui scrutent les tendances de demain.
Face à
cette concurrence, H&M s’est positionnée sur le marché moyen/haut de gamme.
Ses produits ont du coup une plus forte valeur ajoutée et profitent d'une une
image de marque de qualité. C'est le masstige, l'union d'un nom de prestige
avec une marque de grande consommation. Et quand ces alliances se doublent
d'une communication efficace, le résultat est implacable. Rumeur tout d'abord,
annonce ensuite avec une date d'arrivage, l'opération est un succès.
Cet
automne, la marque lance une collection mère et fille avec les mêmes vêtements
déclinés du 6 ans à la taille 38. C'est Madonna, égérie 2006 de H&M qui
aurait mis au goût du jour cette manie d'assortir la tenue des enfants avec
leurs parents. Des campagnes largement relayées par H&M Magazine qui
propose une vue d'ensemble sur la mode et sur les dernières tendances à
l'adresse des collaborateurs du groupe et de la clientèle.
Que ce soit par le « masstige » ou par le marketing de la rareté, H&M et ZARA
ont très bien su se démarquer de la concurrence et réussir à proposer des
modèles à forte valeur ajoutée pour le client tout en respectant un cahier des
charges strict. On peut donc dire que la démocratisation du luxe ne s’effectue
pas seulement dans les grandes maisons mais aussi dans le domaine de la grande
consommation.
Mais
non contents d'avoir bousculé les équilibres sur le marché de la mode
vestimentaire, H&M et Zara ont aussi chacun entrepris de diversifier leurs
activités marchandes. Inditex, s'est lancé dans la décoration de la maison avec
le concept de Zara home. La dernière mode de déco disponible en un minimum de
temps. Le Suédois offre de son côté et depuis quelques années des lignes de
produits cosmétiques, compléments évidents d'un magasin de vêtement.
BIBLIOGRAPHIE
· Textile : le moyen de gamme se renouvelle, LSA, Juliette Granier, 1er septembre 2005
· Lagerfeld dope les ventes d’H&M, L’Expansion, 15 décembre 2004 Karl Lagerfeld
couturier chez H&M, L’Express, Lydia Bacrie et Martine
· Marcowith, 20 septembre 2004
· H&M : la collection Lagerfeld flambe sur le Net, Le Parisien, 23 novembre 2004
· Pourquoi H&M s’offre Karl Lagerfeld pour Noël, Largeur.com, Mary Vakaridis, 3 novembre 2004
·
www.altema.com, le « masstige » www.journaldunet.com, H&M vs Zara www.linternaute.com, Karl Lagerfeld très
bientôt chez H&M www.strategies.fr,
le cas ZARA
· ZARA: Fashion Follower, Industry Leader, Business of fashion case study competition, Amanda
Craig, Charlese Jones and Martha Nieto, Philadelphia University, April 2004
· Leveraging Speed as a Competitive Advantage: a case
study of an international fashion chain and its competitors, J.L.W. Lo, B. Rabenasolo and A-M. Jolly-Desodt
· Case study, the
fastest merchant in Europe Creating agile supply chains in the
fashion industry, by M. Christopher, R.
·
Lowson &
H. Peck Harlé, N. Pich, M. and Van
der Heyden, L. (2002), Marks & Spencer and Zara:
·
Process
Competition in the Textile Apparel Industry, INSEAD case study Helft,
M. (2002), Fashion Fast Forward, May, Vol. 3, Issue 5, p.60-67