mardi 31 janvier 2012

Informatisation, Zara, H&M



Le secteur européen du textile est une des premières victimes de la globalisation et de la discrimination par les prix. Les plus importants marchés du textile sont l’Europe (135 milliards d’euros), les USA (100 milliards d’euros) et la Chine avec le Japon (35 milliards d’euros). Dans cet environnement hyperconcurrentiel, les marques comme ZARA et H&M ont compris la nécessité d’entreprendre d’importants changements afin de rester compétitives. Ces entreprises partagent peu de caractéristiques si ce n’est qu’elles distribuent des produits à la pointe de la mode à un très large public

Les entreprises de l’industrie du textile évoluent donc dans un environnement chaotique. En effet, la mode est, par définition, en mouvement constant : elle représente les goûts du moment. En plus de l’incertitude liée au temps, il existe de nombreuses autres variables dont il faut tenir compte lors de l’élaboration de la stratégie de l’entreprise. Alors comment combattre ces phénomènes ? Pour parvenir à séduire la clientèle et à s'imposer dans un secteur hyperconcurrentiel ils n'emploient pas les mêmes stratégies. Gestion d'entreprise, production des collections, marketing et communication, tout oppose les deux enseignes.

Pour se protéger d’un marché de la mode incertain, ZARA a, par exemple, choisi une stratégie propre qui tranche avec celle de ces principaux concurrents. C’est l’intégration verticale de la chaîne de valeur. Cette stratégie est possible grâce à une organisation et une logistique millimétrée. Tout cela permet à ZARA de pratiquer un management de la rareté, c'est-à-dire que le renouvellement des collections est quasi mensuel.

Parallèlement, H&M surfe sur une nouvelle tendance appelée « masstige ». En pratique, ce phénomène permet aux consommateurs de s'offrir un produit griffé à un prix très accessible. Le terme "masstige" provient de la contraction de deux mots : « mass market » et « prestige ». Le masstige, c'est donc l'alliance d'une marque prestigieuse et d'une marque de grande consommation.

En 2004, c’est avec Karl Lagerfeld que H&M s’est associé pour proposer une toute nouvelle collection. Ainsi, la marque issue de l'univers de la grande consommation voit le nombre de ses ventes considérablement augmenter, surtout lorsqu'en amont une campagne de publicité est astucieusement orchestrée. Quant à la marque dite de prestige, cette opération lui permet de faire connaître sa griffe, son univers à un plus large public en lui donnant, dans le même temps, l'illusion d'entrer dans le monde très convoité du luxe. Ce phénomène, s'il devient de plus en plus courant, n'est pas totalement nouveau puisque dans les années 90 déjà, de grands couturiers tels que Karl Lagerfeld et Sonia Rykiel posèrent pour une campagne de publicité Kookaï. Depuis, les cas de masstige se multiplient dans la mode avec notamment Jean-Paul Gaultier qui a dernièrement revisité sa célèbre marinière pour La Redoute (catalogue été 2004) et, plus récemment, Madonna pour H&M.

Le luxe et la grande consommation ne sont donc pas deux mondes aussi antinomiques puisque l’on retrouve certaines caractéristiques qui définissent le luxe aussi bien chez ZARA que H&M. Au travers de l’exemple de ces deux entreprises nous essayerons donc de comprendre quelles sont les méthodes de la démocratisation du luxe. Autrement dit, quels sont les leviers sur lesquels les entreprises du textile peuvent jouer pour proposer des vêtements à forte valeur ajoutée pour le consommateur tout en maintenant une politique tarifaire au plus bas ?

LE MODELE DE ZARA

Créée en 1975 par Amancio ORTEGA, la marque de vêtements ZARA s’est développée jusqu’à devenir aujourd’hui un véritable empire textile valant plus de 9 milliards d’euros. Le modèle d’affaires de ZARA est de réduire au minimum les cycles de production pour les produits les plus « mode » grâce à une chaîne logistique tendue vers la réactivité, le but étant d’offrir à leurs clients des produits de qualité qui suivent ou même devancent la mode à un prix modéré. Le modèle est unique en son genre.

Alors que toute l’industrie textile ne jure que par la délocalisation, ZARA fabrique en Espagne un peu plus de la moitié de ses articles, les plus mode. Le reste, les basiques, sont délocalisés, mais à plus de 70% en Europe. L’enseigne gère également en direct ses 625 magasins.

Contrôler à la fois la production et la distribution lui donne de nombreux avantages :

·   une parfaite optimisation des flux d’information circulant d’un bout à l’autre de la chaîne
·   limiter les risques de stocks, et les délais grâce à une politique des séries
·   limitées (marketing de la rareté)
·   pouvoir livrer tous ses magasins depuis leur usine à La Corogne, grâce à son
·   système de production centralisée (l’enseigne limite ainsi les niveaux intermédiaires, réduisant les stocks incompressibles, et les délais)

EMERGENCE DU MODELE ZARA

Toute société du secteur textile doit répondre à l’incertitude d’une clientèle très changeante ainsi qu’aux aléas climatiques. Le risque majeur étant que la production ne trouve pas son marché. De plus, ZARA est confronté à une double concurrence :
·   celle des produits basiques en provenance de pays de production à bas coûts ;
·   celle d’entreprises mondiales sur les produits de gammes supérieures telle que
H&M.

Dans ce contexte, la concurrence frontale avec les produits bon marché est impensable. La seule solution est de proposer des produits de gammes supérieures en se différenciant le plus possible. ZARA doit donc devenir le marchand le plus rapide d’Europe. Pour cela, ZARA impose un renouvellement permanent des collections à ses concurrents et offre, ainsi, la dernière mode au meilleur prix.

II. UNE METHODE A PART DANS LE SECTEUR  DU TEXTILE

A. Rompre avec les saisons, être le plus rapide

1. La production locale et l’intégration verticale
Pour être le plus réactif possible dans ce marché concurrentiel, ZARA a choisi de privilégier la production locale et l’intégration verticale. En effet, ZARA a choisi de regrouper ses activités près de son siège à la Corogne en ayant pour objectif un gain de temps et un meilleur contrôle. La production est en lien direct avec le pôle de création qui compte 400 stylistes. ZARA a également investi dans des appareils de coupe dernier cri qui fonctionnent jours et nuits : 200 000 unités sortent chaque jour des usines ZARA. Ces appareils entièrement automatisés peuvent tailler n’importe quel dessin à partir des patrons qui leur sont transmis numériquement. Enfin, la confection est réalisée par un réseau d’ateliers exclusifs qui apportent le savoir-faire et complètent la flexibilité de ZARA. Il est, en effet, hors de question pour ZARA de perdre du temps avec de multiples intermédiaires, c’est pourquoi, ZARA traite directement avec son réseau de fournisseurs attitrés.

2. La puissance logistique
A peine produits, les articles transitent par le centre logistique de La Corogne. Les chiffres sont éloquents : 1 million d’articles par semaine sont traités par cette plate-forme au travers d’un réseau de 200 kilomètres de câbles aériens sur une surface de 400 000 m2 entièrement automatisés. L’atelier est intégralement vidé 2 fois par semaine.

3. Le contrôle de la distribution
Même au bout de la chaîne, ZARA garde le contrôle. En effet, ZARA est propriétaire de la quasi intégralité de ses magasins, tous placés dans des endroits stratégiques. Les avantages sont nombreux, et notamment, un contrôle total de son image et une grande réactivité.
Tous ces éléments assemblés permettent à ZARA d’offrir aux consommateurs 12 collections par an là où ses concurrents ne peuvent en distribuer que 3 ou 4. Une saison dure donc, chez ZARA, un mois et colle voire devance la mode !

4. Un leadtime de 15 jours

C’est le délai minimal qu’il existe entre la création et la mise en rayon. ZARA met seulement 15 jours pour dessiner de nouveaux modèles, les fabriquer et les livrer dans n’importe quel magasin dans le monde. Les différentes étapes de ce lead time sont les suivantes :

·   J-15 Création Un styliste dessine le modèle en s’inspirant des vêtements de luxe et des attentes des clients.
·   J-13 Coupe La coupe des tissus gérée par ordinateur, a lieu dans une usine appartenant au groupe de La Corogne.
·   J-5 Confection Cousu par un sous-traitant, le vêtement revient ensuite dans une usine maison pour les finitions.
·   J-3 Expédition Le départ se fait par camion si le vêtement est destiné à l’Europe, par avion s’il va en Asie ou aux Etats-Unis.
·   J-0 Mise en vente Une heure avant l’ouverture, les vendeurs étiquettent le modèle livré au petit matin et l’installent en rayon.

La flexibilité de la chaîne logistique permet donc de proposer un produit « en vogue » et toujours plus nouveau par rapport aux concurrents. Zara bénéficie donc d’une image de marque mode et gagne ainsi quelques parts de marchés supplémentaires. Cela permet aussi de réduire les coûts : l’amélioration de la marge donne un avantage prix à ZARA qui permet aussi de gagner des parts de marchés supplémentaires. Le tout contribue à une expansion agressive de la marque.

B. Marketing de la rareté

Une collection qui colle à la demande grâce à l’intégration d’un système d’information performant et d’un outil de production dernier cri, les collections ZARA ont toujours trouvées leur public. Une optimisation des allers-retours ZARA optimise la fréquence des visites de ces clients (entre 8 et 12 visites par an).

Le client ZARA vient donc souvent pour profiter des dernières nouveautés et achète en petite quantité (2 à 3 articles par visite) Le renouvellement des collections est tel que ZARA fait très peu de publicité et n’a quasiment aucun stock : c’est le marketing de la rareté.

III. ANALYSE DE LA CHAINE DE VALEUR

Le succès de ZARA s’explique notamment par son organisation : ZARA maîtrise ses approvisionnements en intégrant tous les éléments de sa chaîne de valeur.
Avec un système d’information intégré à toute sa filière, ZARA a développé une telle excellence dans la gestion de sa chaîne logistique, qu’il est devenu un modèle pour de nombreux PDG, désireux d’améliorer la performance de leur entreprise.

L’innovation technologique contribue largement à la création de nouvelles opportunités d’amélioration de la chaîne de valeur en mettant à disposition du management des outils permettant de capturer, partager et analyser les données et informations nécessaires pour synchroniser les processus de l’ensemble de la chaîne opérationnelle. Enfin, le contexte actuel de ralentissement économique et le secteur textile hyperconcurrentiel renforcent les actions de réduction des coûts notamment de la chaîne logistique et industrielle. Tous ces facteurs expliquent une nouvelle fois les choix de ZARA et contribuent à renforcer l’attention que portent certaines directions générales à intégrer la chaîne de valeur.

A. Les grands principes de l’intégration verticale de la chaîne de valeur textileL’intégration de la chaîne de valeur permet d’optimiser les échanges tout au long de la chaîne logistique- du fournisseur au client- en améliorant la réactivité et les performances de l’entreprise. Outre la recherche de diminution des coûts et des besoins de financement issue d’une rotation plus rapide des stocks, l’objectif principal visé est l’amélioration du niveau de service à la clientèle grâce à la disponibilité des produits attendus, dans un large réseau de distribution (y compris à terme l’e-commerce), un renouvellement fréquent de l’offre tout en conservant les best-sellers et les basiques, un service après vente efficace.

Les entreprises engagées dans l’intégration de la chaîne de valeur doivent respecter certaines règles de bases.
·   la gestion des stocks ne vise pas leur réduction systématique mais leur optimisation. Il faut éviter les ruptures de stocks et saisir les opportunités de baisse des prix des matières premières.
·   pour atteindre la satisfaction client, la première règle réside en la capacité du groupe à assurer la disponibilité des produits attendus dans les points de vente et aux périodes clés. Cela vise ainsi à minimiser les délais de livraison sur toute la chaîne logistique.
·   ce modèle impose une transformation des modes d’organisation interne et externe de l’entreprise. La réussite de tels projets passe donc par une structure transversale afin de faciliter la circulation des flux d’information.

B. L’intégration de la chaîne de valeur selon ZARA

1. Unsystèmed’informationpuissant

Chaque jour, l’information remonte jusqu’au siège de la Corogne et permet à la direction de voir les modèles qui marchent et qui ne marchent pas. Le reporting journalier ne serait rien grâce à la réactivité dans la gestion des approvisionnements et dans la réalisation des commandes. Pour atteindre un process de 15 jours entre la décision de créer un produit et sa mise en vente dans les magasins, l’ensemble de la filière et les sous-traitants exclusifs sont intégrés grâce à un ECR (efficient consumer response).

Les sous-traitants et fournisseurs sont donc reliés en permanence avec le siège et travaillent en exclusivité pour ZARA. Ils peuvent donc répondre immédiatement à la demande (contrairement à d’autres groupes qui ne travaillent pas en exclusivité et qui doivent attendre leur tour sur les plannings des sous- traitants ; entre 2 et 3 mois).

Pour éviter les freins de résistance, car quand il y a commerce il y a forcément négociation entre l’acheteur et le fournisseur ou prestataire ; ZARA dans son process doit avoir négocié les prix avant de passer commande. Le groupe a donc mis en place des cross functionnal team. Ces équipes transversales suivent la chaîne de valeur, négocient régulièrement les coûts et les prix. Elle traverse toute la chaîne d’approvisionnement et repère les dysfonctionnements qui feraient perdre du temps. Ces équipes permettent aussi de transférer les stocks des invendus de magasins en magasins. Aucun article ne revient dans les dépôts de ZARA.

2. La chaîne logistique

La chaîne logistique est surdimensionnée pour répondre aux pics de demande. ZARA optera pour l’avion contre le bateau. Après que les articles soient conçus ils sont emmagasinés dans deux centres logistiques, un se situe à la Corogne l’autre à Saragosse. Ces énormes centres de 400000 m2 et qui ont coûté à ZARA 100 millions € par centre sont vidés entièrement deux fois par semaine. Il faut 24 à 48 heures pour que ZARA atteigne partout dans le monde un de ces magasins à partir des centres logistiques. Ensuite les articles sont éclatés au niveau des HUBS vers les magasins.

3. Le réseau de distribution

Propriétaire de 475 magasins sur plus des 500 magasins ZARA, le groupe a fait le choix de la maîtrise du réseau de distribution. Chaque année, le groupe réinvestit 80 % de son résultat dans la distribution. Ceci explique une croissance d’activité plus lente que prévue. De plus le choix des magasins est primordial en particulier dans la localisation géographique. ZARA veut les meilleurs emplacements en centre ville. Cela évite ainsi d’avoir à faire des campagnes de publicité et les consommateurs ne peuvent éviter de passer devant un magasin ZARA.

LE MODELE DE H&M
En novembre 2004, la chaîne de magasins H&M a réalisé une opération commerciale osée et innovante. L’enseigne a soigneusement préparé un « coup » qui bouleverse les cadres et les frontières de l’univers du luxe et de la distribution spécialisée. Pendant quelques jours, le distributeur de vêtement a commercialisé une ligne de d’articles dessinée par le couturier Karl Lagerfeld dans 20 pays (Europe et Amérique du Nord).

I.       LES LEVIERS DU MARKETING DU LUXE
Pour définir un produit de luxe, on considère généralement 5 critères majeurs :

·   une supériorité technique ou technologique
·   une valeur esthétique
·   un phénomène de rareté
·   un prix relativement élevé
·   une représentation symbolique amenée par l’image de la marque

Ces 5 leviers constituent les fondements du marketing du luxe. Chaque Maison les actionnent ensuite différemment en fonction de la segmentation de son marché et de ses cibles. Cependant, la collaboration entre H&M et Karl Lagerfeld brouille les fondements de ces stratégies traditionnelles. Le cobranding repose en effet sur un genre nouveau : baisser fortement le levier « prix » et actionner à fond le levier « représentation symbolique ». Le tout est associé avec une dramatisation commerciale forte, notamment à travers un effet rareté.

A. Prix serrés pour une collection griffée

Le concept d’ H&M est proche de celui de son confrère suédois Ikea. Son business model repose sur la vente de produits au design innovant mais à un prix raisonnable.

L’activité d’enseignes comme le suédois H&M, les espagnols Zara et Mango et l’américain Gap est aussi décrite comme du « fast fashion ». Cela caractérise des articles vite achetés, vite délavés et vite jetés. Maragreta Van den Bosch, responsable du design pour H&M, présente les clef de réussite d’une telle activité : « avoir peu d’intermédiaires, acheter des tissus en volumes importants et utiliser un système de distribution bien rodé ». La collaboration entre H&M et Karl Lagerfeld s’appuie sur le positionnement prix de l’enseigne. Les articles dessinés par le couturier ont été proposés à la vente à des prix comparables aux autres produits textiles de l’enseigne.

Avec un tel positionnement tarifaire, H&M créé un premier brouillage des frontières dans la tête des consommateurs. Ces derniers peuvent se procurer des
articles qui ne sont pas des imitations mais des articles s’inspirant du haut luxe, dotés d’une valeur esthétique élevée, mais à des prix accessibles. En marketing, on considère habituellement que le segment du « haut luxe traditionnel », dont fait partie la haute couture et une Maison comme Chanel, commence à partir de la somme de 2 000 euros. Chez H&M, la collection dessinée par Karl Lagerfeld a été commercialisée avec un prix plancher fixé aux alentours de 20 euros.

B. Origine du succès de l’opération

La représentation symbolique est un ensemble non objectivable. Elle est constituée d’un ensemble d’images et de mots déclenchés par la perception d’un objet, d’une personne ou bien l’évocation d’un nom. Cette sensation fait appel aux 5 sens, est activé de manière inconsciente et s’appuie sur des référents matériels et immatériels. En marketing du luxe, la symbolique rassure et légitime l’appartenance du consommateur à un univers haut de gamme. Elle légitime aussi le supplément de prix.

Karl Lagerfeld est une personnalité complexe et très riche. Dans l’imaginaire collectif, il a su capitaliser l’attention du consommateur pour deux raisons majeures:

·   il est tout d’abord associé à la maison Chanel depuis 1983
·   c’est une personnalité complexe, médiatique et plutôt excentrique.

En l’occurrence, H&M apparaît comme un effet d’aubaine pour le consommateur ordinaire. En proposant une collection signée Karl Lagerfeld dans ses linéaires, l’enseigne permet à des segments de population à revenu moyen de rentrer en contact avec l’univers complexe des symboles associés au couturier. Il y a en premier lieu la maison de couture Chanel mais aussi le luxe, la recherche de l’élégance, la femme parisienne, le bon goût, son égérie
Claudia Schiffer... Karl Lagerfeld décrit sa collaboration comme le fait de « faire du snobisme à l’envers en donnant à l’accessible ses lettres de noblesse » ou encore « s’offrir l’idée d’un univers ». Pour Christian Bagnoud, directeur marketing d’H&M Canada, « beaucoup de clients sont motivés par le fait d’acheter un article dessiné par Karl Lagerfeld mais ses créations sont, en règle générale, très chères. Maintenant, tout le monde peut se le permettre ».

C. Marketing de la rareté

Officiellement, l’équipe de Karl Lagerfeld n’avait pas prévu qu’ H&M créée un « phénomène collector » autour de cette collection. En effet, le groupe suédois a organisé la rareté et, à titre d’exemple, on peut évoquer les chiffres de la production France de la fameuse veste à paillettes qui s’élèvent à 300 unités pour 28 magasins. La stratégie de communication d’H&M s’appuie sur la rareté. Dans son plan média précédant l’événement, la marque utilise un effet d’annonce bien orchestré mais classique. Nous avons évoqué dans les paragraphes précédents en quoi les leviers « prix » et « symbolique » sont les facteurs clés de succès de la campagne amont. La stratégie aval, elle, permet de faire parler de l’enseigne après l’événement.

En l’occurrence, on peut évoquer l’article du quotidien Libération présentant l’opération commerciale comme un compte à rebours. L’article décrit la ruée des consommateurs (ou plutôt, des consommatrices) dans des magasins H&M parisiens. Ainsi, on apprend que « les premiers sont arrivés à six heures du matin », « les vendeurs montrent leurs mains couvertes d’égratignures et osent à peine ramener quelques vêtements de la réserve ». En outre, le magasin de la rue de Rivoli est « dévalisé en 13 minutes ». Cet étalement de la période de communication est stratégique pour le groupe. En effet, il met en avant la dynamique commerciale d’H&M dans 20 pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord et relève de plusieurs objectifs à caractère économique et financier. Derrière le « coup commercial », on trouve des motivations liées au fait que :

·   de nombreuses analyses s’accordent à dire que le groupe suédois peine à s’imposer sur le marché américain malgré un marketing de masse (la taille de certains magasins a été réduite et la succursale de Chicago a été fermée)

·   l’enseigne cherche à développer sa notoriété à l’échelle mondiale dans la perspective de nouvelles implantations

·   l’enseigne cherche à renforcer son image de marque à travers un positionnement marketing milieu de gamme chic et abordable

II. LACOLLABORATIONAVECKARLLAGERFELD

A. Quand l’offre rencontre la demande
Quand on étudie le comportement des acheteurs de luxe aujourd’hui, on observe le passage d’une consommation quotidienne par une élite à la consommation ponctuelle d’un très grand nombre. Au delà de cette tendance, on observe aussi ce que Karl Lagerfeld lui-même appelle une « troisième voie » qui consiste à « mélanger des choses chères et pas chères ». Martine Leherpeur, dans L.S.A, parle de « diagonale du fou » avec « un consommateur qui est le matin chez Dior et le soir chez H&M ». Le succès de la collaboration entre Karl Lagerfeld et H&M est symptomatique de cette nouvelle façon de consommer. Elle utilise une évolution des modes de consommation pour bâtir une stratégie: les consommateurs mélangent les segments du luxe traditionnel et le distributeur tente de répondre à ce besoin, quitte à brouiller les repères traditionnels. Au final, l’enseigne espère que la force de la représentation symbolique couvre la désacralisation par le prix.

Pour la clientèle régulière d’ H&M, le cobranding avec Karl Lagerfeld est globalement positif. Même si l’enseigne suédoise a utilisé une stratégie marketing agressive, le consommateur a la sensation de sortir gagnant de l’opération. Nous avons évoqué précédemment l’effet d’aubaine que constitue cette possibilité de rentrer en contact avec l’univers du luxe.
En outre, au-delà du renforcement de l’image de marque, le succès de l’opération laisse présager de nouvelles collaborations entre le distributeur et des couturiers célèbres. Le consommateur est tenu en haleine. D’ailleurs, une collaboration avec Stella McCartney a eu lieu un an après.

B. Un avantage compétitif pour le consommateur.

En décembre 2004, H&M a annoncé une croissance de ses ventes en novembre 2004 de 24% par rapport à novembre 2003. Il s’agit de la plus forte progression mensuelle du groupe depuis octobre 2002. L’effet de la collection « Lagerfeld for H&M » pèserait de l’ordre de 6 à 8 points de ces 24%. Globalement, le distributeur a fortement profité de l’opération commerciale « Karl Lagerfeld for H&M ». Nous avons également évoqué précédemment que la stratégie de communication entourant le cobranding était un signe fort pour l’enseigne, en particulier dans le cadre de sa stratégie d’expansion.

Cependant, il est intéressant de revenir sur l’image prix du distributeur. Juliette Garnier, dans la revue LSA, évoque « la bipolarisation du marché de l’habillement autour du luxe et de l’entrée de gamme, fragilisant les marques et les enseignes moyen de gamme ». Pour des enseignes comme H&M, ZARA ou encore MANGO, il est nécessaire de casser ce positionnement en milieu de gamme :

·   soit en tirant le positionnement commercial par le haut (bien-aller, bien coupé, bien stylé, bon tissu, prix juste...)

·   soit en tirant le positionnement commercial vers le bas (le moins cher, merchandising réduit, moins de style, moins de qualité)

·   soit en maintenant une position médiane qui joue « le plus » par rapport aux hard discounters (plus de mode, plus de renouvellement, plus de plaisir d’achat, plus de segmentation...)

H&M a une stratégie qui s’inscrit dans ce dernier segment. L’enseigne n’a pas intérêt à relever son positionnement tarifaire mais elle se doit de maintenir une image qualitative forte, tendant vers le haut de gamme (réellement ou fictivement). En l’occurrence, la collaboration avec des couturiers reconnus sert cet objectif. Le cobranding permet de concilier les paramètres prix et qualité. Dans ce cadre, un facteur clé de succès majeur réside dans la capacité de l’enseigne à traduire les tendances en collections pour le grand public. Jusqu’à aujourd’hui, c’est ce qui a permis l’expansion du groupe suédois.

C. Une logique win-win

Un cobranding est une collaboration entre deux parties et suppose une logique win-win afin d’en tirer la pleine quintessence. Tout d’abord, pour Chanel, Karl Lagerfeld lui-même reconnaît que des retombées commerciales ne sont pas à exclure. Le couturier déclare ainsi que « celles qui vont acheter Karl Lagerfeld chez H&M ont aussi envie d’un rouge à lèvres ou d’un parfum Chanel ». Le « brand stretching » de la maison de haute couture lui permet d’être présent sur les segments du haut luxe mais aussi du luxe intermédiaire et du luxe accessible. C’est ce dernier qui peut bénéficier au mieux des retombées du cobranding Lagerfeld-H&M.

Quant à l’image de marque de la maison de haute couture, les segments de clientèle « exclusifs » ou « réguliers » (en particulier la clientèle « bourgeoise »), la collection « Lagerfeld for H&M » est assimilée à une forme de diversification que la marque mère Chanel pratique déjà sous d’autres formes. Savoir innover, oser et dépasser les préjugés est un gage de dynamisme en économie. Ces règles s’appliquent aussi dans le secteur de la mode, mais à des degrés variés bien entendu. Ensuite, pour le couturier, la collaboration avec H&M est une opportunité supplémentaire pour avoir accès aux médias et se livrer à son jeu favori : la provocation.

III. UN INTERET CROISSANT POUR LE « MASSTIGE »

L’opération commerciale que nous étudions n’est pas un phénomène isolé. Elle s’inscrit comme une nouvelle façon de consommer. En l’occurrence, il s’agit d’un intérêt croissant des consommateurs de masse pour les marques de luxe. Ce terme est issu de la contraction de « mass market » et « prestige ».

Dans leur cobranding, H&M et Karl Lagerfeld ont utilisé l’ensemble des facteurs clés de succès du masstige qui sont constitués de :
·   collaboration entre une marque de luxe et une marque de grande consommation

·   adoption de codes de communication propres à la grande consommation et adaptation de ceux-ci en fonction des marchés (les marques de luxe n’utilisent, en général, qu’un seul discours pour le monde entier)

·   caractère éphémère des opérations commerciales qui s’appuient énormément sur l’effet d’annonce ;

·   appel aux créateurs des grandes maisons de couture 􏰀     cible marketing plus jeune et plus féminin que pour les produits de luxe

Ainsi, on note qu’ H&M a su dans un premier temps comprendre la nouvelle tendance de consommation et dans un deuxième temps utiliser à bon escient l’ensemble des facteurs clés de succès du masstige. Il reste cependant à voir désormais quelles peuvent être les limites de cette évolution de l’offre et de la demande.

CONCLUSION

Nombre de magasins quasiment identiques, segments concurrents, chiffres d'affaires similaires : depuis une décennie, H&M et Zara se concurrencent avec des méthodes de marketing radicalement opposées.

D’un coté, ZARA et son modèle stratégique de l’intégration verticale, réussit à offrir aux consommateurs des vêtements toujours à la pointe de la mode tout en ne communiquant quasiment pas. En effet, seulement 0.3% de son chiffre d’affaires est dépensé pour la communication contre 3.5% pour H&M. Cela s’inscrit sans doute dans un politique de maîtrise parfaite des coûts sachant que le géant espagnol internalise plus de 60% de sa production.

Pourtant, cela ne l’empêche pas d’être un des leaders de son marché, en proposant des renouvellements de gamme tous les mois. Ce système a pu réussir en grande partie grâce au bon fonctionnement de leur système d’information mais aussi grâce aux nombreux designers qui scrutent les tendances de demain.

Face à cette concurrence, H&M s’est positionnée sur le marché moyen/haut de gamme. Ses produits ont du coup une plus forte valeur ajoutée et profitent d'une une image de marque de qualité. C'est le masstige, l'union d'un nom de prestige avec une marque de grande consommation. Et quand ces alliances se doublent d'une communication efficace, le résultat est implacable. Rumeur tout d'abord, annonce ensuite avec une date d'arrivage, l'opération est un succès.

Cet automne, la marque lance une collection mère et fille avec les mêmes vêtements déclinés du 6 ans à la taille 38. C'est Madonna, égérie 2006 de H&M qui aurait mis au goût du jour cette manie d'assortir la tenue des enfants avec leurs parents. Des campagnes largement relayées par H&M Magazine qui propose une vue d'ensemble sur la mode et sur les dernières tendances à l'adresse des collaborateurs du groupe et de la clientèle.

Que  ce      soit    par    le       « masstige »       ou     par    le marketing de la rareté, H&M et ZARA ont très bien su se démarquer de la concurrence et réussir à proposer des modèles à forte valeur ajoutée pour le client tout en respectant un cahier des charges strict. On peut donc dire que la démocratisation du luxe ne s’effectue pas seulement dans les grandes maisons mais aussi dans le domaine de la grande consommation.

Mais non contents d'avoir bousculé les équilibres sur le marché de la mode vestimentaire, H&M et Zara ont aussi chacun entrepris de diversifier leurs activités marchandes. Inditex, s'est lancé dans la décoration de la maison avec le concept de Zara home. La dernière mode de déco disponible en un minimum de temps. Le Suédois offre de son côté et depuis quelques années des lignes de produits cosmétiques, compléments évidents d'un magasin de vêtement.

BIBLIOGRAPHIE

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·   Lagerfeld dope les ventes d’H&M, L’Expansion, 15 décembre 2004 􏰀 Karl Lagerfeld couturier chez H&M, L’Express, Lydia Bacrie et Martine
·   Marcowith, 20 septembre 2004
·   H&M : la collection Lagerfeld flambe sur le Net, Le Parisien, 23 novembre 2004
·   Pourquoi H&M s’offre Karl Lagerfeld pour Noël, Largeur.com, Mary Vakaridis, 3 novembre 2004
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