mardi 12 août 2014

Presse numérique : 15 ans d’échecs et de succès

Repris de linkedin.com

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De nombreuses initiatives ont vu le jour depuis une quinzaine d’années pour offrir un avenir à la presse numérique. D’abord fondé sur le journalisme citoyen, cet avenir est rapidement devenu celui du journalisme participatif.

Plusieurs sites d’information ont connu le succès avant de décliner. D’autres n’ont jamais vraiment décollé. Certains pionniers du journalisme participatif ont pourtant réussi à survivre.
Facteurs d’échecs et de réussites nous enseignent qu’il n’existe pas de juste milieu entre le contenu journalistique et le contenu des « citoyens » mais plutôt des modèles pour intégrer ce dernier au site d’information ainsi que plusieurs moyens de rendre la participation possible et utile à tous.

On ne remplace pas les journalistes

Plusieurs échecs de sites participatifs, première et deuxième génération, ont montré que les journalistes sont indispensables et le resteront toujours.
Apparus au début des années 2000, on appelait les premiers sites du genre, sans aucun journaliste, des « médias citoyens ». Ils n’ont pas perduré et plus de 10 ans après, d’autres échecs montrent que les sites qui veulent se passer de journalistes professionnels peinent à connaître un succès durable.
AgoraVox, pionnier des médias 100% citoyens en France, a été lancé en 2005 et a commencé à connaître des difficultés 4 ans plus tard. Newsring est lancé en décembre 2011 à l’aide de plusieurs millions d’euros et par des personnalités du monde médiatique. L’ambitieux projet s’effondre en 2013 essentiellement parce que les contenus ne sont pas rédigés par des journalistes. Le site devient debats.terrafemina.com mais les questions qui font débat sont toujours introduites par un contenu qui n’est pas journalistique.

Tout le monde ne peut pas participer en produisant du contenu

À la grande époque des blogs, de nombreux sites à travers le monde naissent sous la forme de plate-forme de blogs : les internautes diffusent l’information. Beaucoup se présentent comme des espaces de liberté et ne sont pas des compléments ou des alternatives : ils sont à contre-courant des médias traditionnels. Ces blogueurs ont des opinions, points de vue politiques, économiques ou autres à défendre.
Cela donne lieu à de nombreuses dérives. Mais au-delà des dérives, un autre problème survient : comment peuvent s’exprimer ceux qui ne savent pas écrire des articles ? Que peuvent faire les internautes qui ne savent pas rédiger ?
Ils peuvent demander des idées comme sur AgoraVox qui donne des conseils en répondant à une question fréquente : « Je ne sais pas sur quoi écrire, avez-vous des idées ? »… Plus crédible, un guide de bonnes pratiques ou une page d’aide peuvent permettre aux rédacteurs de faire le point sur la diffamation, le droit à l’image ou encore, les droits d’auteur.
Toutefois, des sites d’information ont échoué ou sont en difficulté parce que tout le monde ne peut pas rédiger et parce que tout le monde ne souhaite pas rédiger. Pas même un commentaire.
C’est ainsi que des sites ont vu le jour pour proposer de nouveaux modes de participation. On les dit « semi-participatifs ».

Il faut valoriser le contenu non professionnel

La hiérarchisation de l’information et celle des contributeurs, ainsi que la sélection des contenus produits par des non-professionnels, donne lieu, juste avant les années 2010, à de nouveaux modèles qui font beaucoup évoluer la presse numérique mais qui présentent quelques défauts.
Les débuts du journalisme citoyen laissent place à plus de maîtrise : on essaie de trouver un compromis entre les contenus des journalistes professionnels et ceux des internautes, au sein d’une même plate-forme.
Toutefois, la valorisation du contenu des internautes ne se fera vraiment que par le choix de la rédaction et le témoignage : on tient compte du fait qu’une majorité d’utilisateurs souhaite participer autrement qu’en rédigeant.
Le Post apparaît en 2007 et il est racheté en 2011. Ce site laisse ses utilisateurs publier des articles mais d’une façon trop dévalorisante. Si certains articles sont choisis et édités par l’équipe rédactionnelle, beaucoup ne sont pas relus. Le processus de sélection implique toujours de faire partie d’une certaine élite : ceux qui « savent écrire ». Quant aux articles non relus, ils ne sont jamais à la une.
Malgré un vrai succès, grâce à un système de hiérarchisation des rédacteurs, des occasionnels aux professionnels, Le Post connaît plusieurs déboires avec la justice à cause des contenus d’internautes qui ne maîtrisent aucune technique journalistique (et à cause de la modération, un facteur clé qui fera l’objet de notre point suivant).
En 2008, Mediapart tente de ne pas commettre les mêmes erreurs en fonctionnant avec un Journal et un Club. Le journal est publié par la rédaction. Les articles du Club sont publiés par les adhérents qui créent leurs blogs. Les informations sont hiérarchisées et c’est la rédaction qui sélectionne les articles des blogs, présentés comme des compléments aux articles de la rédaction. Une fois sur la page du Club, le lecteur voit alors le journal diffusé sur la gauche et les productions des adhérents devenir prioritaires.

Ce modèle semble porter ses fruits quand il valorise le contenu des membres.

Il n’est toutefois pas la seule possibilité de valorisation. En 2007, Rue89 était lancé. Le site fonctionne avec une équipe de journalistes qui sont aussi des modérateurs. Ils ont pour rôle de produire de l’information et de gérer les contributions des utilisateurs. Leur participation est essentielle à la vie du site.
On peut participer en publiant des commentaires et en attribuant des notes aux différents articles. Rue89 effectue aussi une sélection des commentaires via les votes des internautes. On peut proposer des idées de sujets et des articles mais seulement en contactant l’équipe de rédaction via un formulaire de contact.
Ce sont les témoignages qui sont privilégiés. Pour ouvrir un blog, il faut aussi faire une demande et ce sont les blogs de témoignages qui sont privilégiés.
Ce modèle de « témoignages » va se développer de plus en plus dans les années 2010 avec l’avènement des réseaux sociaux, jusqu’à faire participer les internautes en tant que sources d’informations.
Enfin, Rue89 et Mediapart offrent d’autres fonctionnalités typiques des réseaux sociaux. Les utilisateurs disposent d’un espace personnel. Rue 89 montre combien de commentaires ont été sélectionnés par la rédaction pour chaque membre. On peut aussi voir combien de commentaires chaque membre a publié et la boule rouge, sorte d’indice de popularité. Mediapart montre pour chaque blogueur le nombre de contacts et leurs noms.

Il faut un modérateur professionnel

Les internautes ne sont plus de simples consommateurs de l’information. Ils y contribuent en envoyant leurs témoignages, en notant les articles, en laissant des commentaires et parfois en envoyant leur propre contenu aux équipes rédactionnelles. Tout ceci créé une communauté qu’il faut animer et modérer. Le métier de Community Manager apparaît vers 2006.
Il est aujourd’hui considéré comme une fonction possible du journaliste. Sans lui, aucun média citoyen, site participatif au semi-participatif n’est viable.
Tout le monde peut s’inscrire sur AgoraVox. Les dérives sont régulières et le site reconnaît que son fonctionnement les favorise notamment les rumeurs. D’autant plus que le site a pour objectif de mettre en avant des informations moins populaires voire passées sous silence. Dans ce contexte à contre-courant de l’information de masse, les modérateurs sont les rédacteurs eux-mêmes. Avoir publié 4 articles donne la possibilité de voter pour les articles les plus intéressants. C’est ainsi que les articles sont validés.
Malgré une charte de modération et une charte de bonne conduite, le site qui ambitionnait de devenir un « média démocratique » est régulièrement montré du doigt que ce soit pour l’ambiance extrémiste ou conspirationniste.
L’anonymat favorise probablement ce type de dérive, mais pour nombre de spécialistes, le problème vient essentiellement du fait que les personnes tour à tour appelées contributeurs, rédacteurs ou journalistes amateurs, défendent des idées. Et que le sujet soit politique ou pas, c’est ce que fera toujours un citoyen.
Tandis qu’un journaliste informe.
Aujourd’hui, un journaliste informe et peut aussi modérer. Un particulier qui produit du contenu n’est pas à même de gérer l’éventuel débat qui s’ensuit puisqu’il a une idée arrêtée sur la question traitée. Pour un site d’information, c’est également le schéma parfait pour faire fuir les membres de sa communauté, risquant des attaques personnelles.

Il faut des experts

Les experts sont la grande tendance médiatique de ces quelques dernières années. Ils sont de tous les plateaux télé est très présents sur les sites d’information dont certains sont désormais basés sur le modèle de l’expertise. Parfois, tout internaute peut s’improviser expert. Parfois, l’expert professionnel est la seule véritable valeur ajoutée.
Apparu en 2011, le site quoi.info propose des articles rédigés par des journalistes et les contributions des internautes sont basées sur un schéma similaire à de nombreux autres sites d’information pour hiérarchiser les contributeurs, sauf qu’il s’agit cette fois-ci de 3 niveaux (amateur, connaisseur, expert) que l’on atteint en franchissant un certain nombre d’étapes. Ce site est un autre bon exemple de la façon dont on peut valoriser les contributions tout en les régulant.
La plate-forme Terrafemina.com, « média d’actualité ouvert et réactif » est un portail féminin de 150 000 membres. Il y a des journalistes, des contributeurs et des experts qui donnent leur avis notamment dans les débats. Il s’agit ici de professionnels dans le domaine concerné par le débat.

Il faut créer de la confiance

15 ans de tentatives plus ou moins fructueuses des sites d’information nous enseignent qu’il faut créer de la confiance avec les lecteurs.
Cela se fait de multiples façons notamment en permettant au lecteur d’identifier facilement les publi-rédactionnels, de supprimer ses contributions et commentaires s’il le souhaite, de savoir qui subventionne le site informatif.
Cela se fait aussi en étant à l’écoute de ses membres pour effectuer les changements nécessaires au fur et à mesure que les besoins, la technologie ou les pratiques sur Internet évoluent. La dernière génération de sites participatifs ou « pure players » ne cesse de développer des moyens d’intégrer les internautes au journalisme professionnel via des fonctionnalités de réseaux sociaux.
En 2013, Mediapart procède à d’importants changements. Outre un système d’archivage permettant de retrouver plus facilement d’anciens articles (sachant que les articles sur de tels sites deviennent anciens en moins de 24 heures), Mediapart opère un changement majeur pour la lecture sur tous les appareils mobiles.
Il offrira aussi une mise en valeur des contenus multimédias et surtout, plus de contenus dans la partie Club, soit une importante valorisation des contenus de membres.
Rue89 a également effectué de nombreux changements en 2011 dont la fameuse boule rouge qui ne permet plus d’envoyer un vote négatif, ce qui met fin à quelques dérives. Ce que Rue89 supprime, Mediapart l’ajoute : il est possible depuis 2013 de conseiller comme de déconseiller des commentaires.

Sources :

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