Repris de
http://www.inaglobal.fr/numerique/article/facebook-les-raisons-du-succes
Pourquoi Facebook est-il un réseau « à part » ? Entretien avec Nikos Smyrnaios.
Quelles sont selon vous les évolutions majeures de ce réseau
depuis 10 ans ? Comment expliquer le succès de Facebook ? Pourriez-vous
nous expliquer ce qui en fait en réseau « à part » ?
Nikos Smyrnaios : Avec le recul on peut penser
qu’il y a un faisceau de facteurs qui expliquent le succès de Facebook.
Le premier est la conjoncture liée à la maturation des usages et des
technologies de l’internet. D’autres réseaux socionumériques très
proches ont existé avant lui, comme Sixdegrees,
sans rencontrer un engouement populaire comparable parce qu’ils étaient
précoces. Si Facebook a été créé en 2004, ce n’est qu’à partir de 2006,
au moment de son ouverture à tous sans restriction, que sa croissance
devient exponentielle. À cette époque le nombre d’utilisateurs de
l’internet dépasse pour la première fois le milliard, ce qui correspond à
15 % de la population mondiale. Dans les pays du Nord, la
quasi-totalité des internautes dispose déjà à ce moment d’une connexion
par ADSL ou câble, avec des débits élevés et sans limitation de temps,
dans son foyer et/ou son lieu de travail. Les conditions sont donc
réunies pour permettre un usage de l’internet beaucoup plus intense et
consommateur de temps qu’auparavant, ce qui correspond bien à
l’utilisation de Facebook. Par ailleurs, à cette époque les principaux
usages que l’on connaît aujourd’hui (recherche d’information,
consultation de l’actualité, consommation de contenus culturels,
commerce électronique) sont bien enracinés. Facebook bénéficie donc d’un
environnent favorable.
Le deuxième facteur est la stratégie de diffusion choisie par Marc
Zuckerberg. C’est celle-ci qui a permis à Facebook de drainer les
utilisateurs de MySpace, beaucoup plus populaire jusqu’en 2007. Avec les
inscriptions, d’abord réservées aux étudiants de Harvard, puis à ceux
des autres universités américaines, Facebook a bénéficié d’une base
solide d’utilisateurs appartenant à l’élite blanche des États-Unis. Par
conséquent, comme l’a montré danah boyd,
l’appartenance à Facebook était perçue comme très valorisante par les
jeunes américains aisés au milieu des années 2000, contrairement à
l’utilisation de MySpace qui avait une image sulfureuse et populaire.
Cet attrait explique la rapide migration des centaines de milliers
d’utilisateurs entre 2006 et 2008.
Le troisième facteur est la couverture médiatique croissante
dont a bénéficié Facebook à partir de 2007, d’abord aux États-Unis puis
en Europe et dans le monde. Il s’agit là d’un phénomène classique qui
permet de rendre visible une innovation technologique au plus grand
nombre et contribue ainsi à l’élargissement de sa base d’utilisateurs. À
partir de là c’est un effet de réseau classique
qui s’est mis en branle, augmentant l’utilité individuelle de Facebook
pour les utilisateurs au fur et à mesure que leur nombre s’accroit.
Finalement, ce qui devient l’avantage principal du service n’est pas sa
technologie, ni ses usages, mais son caractère universel et la certitude
que chacun peut y trouver les interlocuteurs qu’il cherche.
Quelle place occupent – et occuperont – les réseaux sociaux «
généralistes » comme Facebook par rapport à des réseaux socionumériques
centrés sur un hobby ou une activité particulière ?
Nikos Smyrnaios : Il est clair désormais que les
usages de réseaux socionumériques se complexifient en combinant
plusieurs services différents, chacun correspondant à un usage, un type
de contenu ou un public particulier. Cette évolution contredit la
stratégie initiale de Facebook qui consistait à intégrer toutes les
fonctionnalités sur une interface unique dans le but de remplacer les
services concurrents. Il semble aujourd’hui que cette stratégie ne
fonctionne pas, ou pas complètement, car les gens auront toujours besoin
d’autres contextes de communication leur permettant de s’exprimer
différemment et de gérer plus finement l’exposition de soi.
C’est ce qui explique le succès de Twitter, de LinkedIn, de Pinterest,
de Tumblr ou de Snapchat au même temps que celui de Facebook. Pour
répondre à cette évolution Facebook tente désormais de générer lui même
sa propre concurrence, notamment sur mobile, plutôt que de la remplacer.
C’est ce qui se passe avec Instagram, mais aussi avec des applications
comme Messenger ou Paper qui permettent une utilisation en dehors de la plateforme principale de Facebook.
Le lancement de Home, malgré son succès mitigé, témoigne également de
la volonté de Facebook de se transformer en environnement d’usage, plus
proche d’un système d’exploitation que d’un simple service de
réseautage.
Enfin, une autre tendance actuelle de Facebook qui illustre son évolution est son « algorithmisation » croissante
à l’image de Google. Dans les premières années de son existence, le
fonctionnement de Facebook était relativement transparent : on
s’abonnait aux fils de publication des amis pour visualiser les
informations qu’ils partageaient. Mais ce modèle avait de limites
économiques et d’usage. D’un point de vue économique Facebook générait
beaucoup de trafic pour des organisations sans pouvoir monétiser
directement ce service fourni. En même temps, l’accroissement
exponentiel de l’information sur le newsfeed des utilisateurs rendait celui-ci confus et peu pertinent. Du
coup, Facebook a commencé à filtrer de plus en plus les publications
effectivement visibles par le biais d’algorithmes complexes. Si le
fameux Edgerank a été progressivement abandonné, d’autres ont pris sa
place. D’un côté, selon Facebook, l’ « expérience utilisateur » a été
améliorée. Mais surtout, en diminuant l’accès des organisations à leurs
propres « amis » et en les obligeant à payer pour accroitre la
visibilité de leurs publications, Facebook a créé une nouvelle et
importante source de revenu. D’ailleurs l’accélération de cette
tendance d’« algorithmisation » coïncide peu ou prou à l’introduction
en bourse de Facebook et à l’accroissement de la pression qui s’exerce
sur lui pour augmenter son taux de profit. À travers ces changements
Facebook se présente aujourd’hui davantage comme un infomédiaire, c’est à
dire comme un
intermédiaire informationnel chargé de mettre en lien un public
diversifié avec une foule d’informations qu’il n’a pas produit lui même, plutôt qu’un simple réseau social numérique.
Que vous inspirent les discours récurrents sur la mort de Facebook ?
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