vendredi 8 février 2013

Robotiser la vérification des discours


Après les robots journalistes, voici les robots spécialistes du fact-checking

L'ACTU MÉDIAS / NET | Le fact-checking, c'est à la dire la vérification des affirmations des politiques, est devenu un genre journalistique à part entière. Aux Etats-Unis, on teste des robots pour faire ce travail en temps réel. Bonne ou mauvaise idée ?

Le 06/02/2013 à 00h00 - Mis à jour le 07/02/2013 à 09h42
Erwan Desplanques
repris de  http://www.telerama.fr/medias/
 Photomontage : TB, d'après  un ampère mètre .
Photomontage : TB, d'après un ampère mètre.


Imaginez une sorte d'appli Shazam pour la politique : vous pointez votre téléphone vers la télé ou la radio pendant qu'y blablate un ministre et vous savez instantanément s'il ment ou pas. Pas besoin d'imaginer, en fait : le Washington Postrôde ce concept depuis fin janvier. Son « Truth teller » (ou détecteur de mensonges) transcrit en temps réel les discours politiques et les compare automatiquement avec le stock de vérifications déjà effectuées par les journalistes de la maison. Un élu récidive avec un argument bidon à partir d'un chiffre erroné ? Hop : le mot « Faux » s'inscrit en lettres rouges sur votre téléphone ou votre tablette, avec un lien qui vous renvoie vers l'explication d'un rédacteur. Le prototype est en ligne. C'est un curieux outil, un « work in progress » souligne son promoteur, Cory Haik — sans doute LE fantasme ultime des adeptes du « fact checking »…

Cela fait des mois que la vérification des données bute sur la notion de temps réel. Pionnier de la rubrique Désintox de Libération, Cédric Mathiot met souvent deux ou trois jours pour invalider avec rigueur un exemple ou une démonstration politique. Il se méfie — à raison — du fact-checking pratiqué à la va-vite par ses émules (ou concurrents), avec des vérifications incomplètes, voire erronées.

Pendant le débat du second tour de la présidentielle, le Véritomètre d'Owni (hélas mis en veille depuis) a plutôt réussi son coup, avec des approximations intelligemment pointées en direct sur Twitter (François Hollande avait été jugé globalement plus crédible que Nicolas Sarkozy). Mais à la télévision, la pratique patine encore, avec des tentatives de contradiction peu probantes sur France 2 (Des Paroles et des actes) ou France 5 (C politique) — et des hommes ou femmes politiques qui finissent toujours par avoir le dernier mot (lire les réserves de Cédric Mathiot)

L'appli du Washington Post renouvelle donc le genre. Et pose de nouvelles questions : le logiciel de transcription vocale est-il suffisamment fiable ? A partir de quelle(s) base(s) de données leur robot opère-t-il ses vérifications ? Uniquement sur le site du journal ou sur n'importe quel site de données publiques (au risque de trouver deux chiffres divergents) ? De même, il suffira à l'élu de changer un mot de sa démonstration pour que celle-ci passe tous les filtres (lire sur ce sujet la bonne analyse de David Homes, de Pandodaily). « Si l'homme politique tient des propos ironiques, la machine ne le percevra pas. Elle ne peut remettre une citation dans son contexte. Encore moins l'interpréter », explique Franck Rebillard, professeur à la Sorbonne Nouvelle (Paris 3), spécialiste de la communication et des médias.

Cette expérimentation américaine pointe les limites de l'exercice. Sur le fond, le fact-checking vire de plus en plus à l'exercice de style, à l'ergotage sans pertinence politique. Et souffre, sur la forme, de cette mise en scène « vrai/faux » — « logique binaire qui reproduit celle du langage informatique », note Franck Rebillard. Le « Truth teller » n'est pas sans intérêt — retrouver automatiquement et instantanément une petite info dans le grand foutoir des données numériques (le fameux « big data ») — mais il est aussi « symptomatique de la technologisation de l'information, l'idée que le progrès informatique favorise nécessairement la transparence, l'accès à la vérité ».

La robotisation de l'info ? Cela fait des mois qu'on en parle, avec curiosité ou scepticisme. En 2010, l'entreprise américaine Narrative Science lançait son algorithme permettant d'écrire des articles sans intervention humaine, à partir de simples rapports financiers ou listes de résultats sportifs. Du « journalisme artificiel », qui transforme des graphiques en dépêches (le magazine Forbes utilise déjà cette technologie). « Dans 15 ans, 90% des articles seront écrits par des robots », continue de claironner le créateur de Narrative Science, affirmant même qu'une de ces machines « gagnera le prix Pulitzer d'ici cinq ans ». Pour décider de la mise en ligne des articles, les robots aussi peuvent jouer les réd-chefs, déterminer via différents calculs l'article qui fera la meilleure « home » (USA Today ou NBC se servent déjà des algorithmes de la société Visual Revenue).

Et pour modérer les dérapages dans les commentaires ? Là encore, une start up française, iosquare, propose un outil qui détecte automatiquement les messages négatifs, diffamatoires ou insultants, sans passer par le jugement d'un journaliste ou d'un modérateur. Une solution économique — déjà choisie par le site Newsring — mais qui ne fait pas forcément dans la dentelle ou le « cas par cas » (et laisse évidemment très perplexes les entreprises de modération comme Concileo ou Netino).

Robots rédacteurs, robots éditeurs, robots vérificateurs, robots censeurs, etc. En pleine crise de la presse, ces charmants joujoux de science-fiction font de moins en moins sourire (ou rêver) les journalistes qui y consacrent des articles dans leurs médias mutants.

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