samedi 8 février 2014

2020 : le triomphe des robots…

Repris de http://www.rtflash.fr/2020-triomphe-robots/article

Nanotechnologies et Robotique
Robots industriels
 
Il y a deux semaines, j’avais évoqué, dans mon éditorial consacré au Consumer Electronics Show de Las Vegas, l’explosion de la robotique professionnelle, éducative et personnelle qui a marqué ce grand salon mondial des technologies numériques.

2020 : le triomphe des robots…Il n’est pas question ici de passer en revue toutes les nouveautés qui ont été présentées en matière de robots au cours de cette manifestation mais quelques machines méritent tout de même l’attention car elles sont particulièrement représentatives de l’évolution foisonnante qui caractérise actuellement l’ensemble de la robotique.

Dans le domaine des robots destinés à l’accueil et au contact avec le public, il faut par exemple évoquer Thespian, un robot de nouvelle génération, particulièrement  innovant avec ses articulations souples qui lui confèrent une grande fluidité de mouvements et lui donnent un aspect plus humain. Cet androïde conçu par l’ingénieur Morgan Roe, pour la société britannique Engineer Arts (Voir Youtube), est défini par son créateur comme « humanoïde intelligent ». Il est destiné à remplir différentes fonctions dans des établissements culturels : accueil, présentation des œuvres ou encore orientation des visiteurs…

Mais, comme l’a bien montré le CES 2014, les robots ne se cantonnent plus aux domaines culturels ou militaires, ni même aux secteurs industriels éducatifs, médicaux ou industriels, ils font également leur entrée en force dans les foyers. Développé en France par la société du même nom, le robot Keecker est un assistant domestique destiné au divertissement. Cette machine intègre une véritable plate-forme multimédia et peut transformer les différentes surfaces de votre habitation en autant d’écrans géants, en y projetant des contenus vidéo, photo ou web.

Disposant évidemment d’une connexion Wifi, ce robot peut également être utilisé pour jouer à des jeux vidéo, établir des communications téléphoniques ou visiophoniques et afficher à la demande une multitude d’informations pratiques en fonction des besoins des utilisateurs. Cette machine polyvalente intègre évidemment un système informatique complet comprenant un projecteur, une caméra prenant des images sur 360 degrés, 6 hauts parleurs ainsi qu’une station de rechargement.
Mais Keecker ne fait pas que distraire et informer les membres du foyer. Il est également capable de surveiller efficacement votre habitation en analysant les différents paramètres domestiques (niveau d’éclairage, humidité, température, niveau sonore, taux de CO2…). Ce nouveau type de robot hybride vient donc directement concurrencer les différents types de systèmes d’alarme traditionnels sur un marché de la sécurité et de la protection en plein essor.

En revanche, malgré ses nombreux talents, Keecker ne fait pas encore le ménage mais qu’à cela ne tienne : un autre constructeur, Moneual, vient de présenter son nouveau robot aspirateur Rydis H68 Pro, une étonnante machine de ménage hybride qui, non seulement passe l'aspirateur mais peut également nettoyer vos sols avec une serpillère, sèche ou humide. Pour être encore plus efficace, cet étonnant auxiliaire domestique est même muni d'une caméra et d'un logiciel qui lui permet d'établir une cartographie de votre appartement. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il n’essaiera pas d’aspirer ou de nettoyer votre chat…

Là encore, l’arrivée de ces auxiliaires ménagers polyvalents, dont le prix baisse très rapidement, est en train de bouleverser le secteur de l’électroménager. Mais ce type de machine de plus en plus performante risque également d’avoir à court et moyen terme un impact important sur l’emploi car on peut se demander qui voudra bientôt avoir encore recours à un employé de maison, dont il faut payer non seulement le salaire mais encore les charges sociales, quand il sera possible, pour quelques centaines d’euros d’acquérir un robot multifonction qui fera parfaitement le ménage !

Dans le secteur industriel, les robots sont présents depuis de nombreuses années et pendant très longtemps il s’agissait majoritairement d’automates programmables, des machines statiques destinées à accomplir une tâche précise et peu capables d’évolution. Mais cette époque est révolue, comme le montre par exemple le projet novateur en cours chez Airbus. Confronté à une rude concurrence et à la nécessité d’améliorer sa productivité, l’avionneur souhaite faire évoluer son outil industriel et réduire de moitié la durée de ses cycles de production, un objectif ambitieux qui ne peut être atteint qu’en combinant l’ensemble des technologies numériques et des nouvelles ressources de la robotique.
Airbus a tout naturellement baptisé son projet Asimov, du nom du célèbre auteur russo-américain de science-fiction Isaac Asimov. Ce génial visionnaire imagina, dès le début des années 50, l’avènement de robots humanoïdes intelligents et collaborant avec les êtres humains dans de multiples domaines. Ce projet Asimov est actuellement développé au sein de l'Institut de recherche  Jules-Verne de Nantes auquel l'avionneur a délégué le projet. Il prévoit la mise au point, d’ici 2016, d’une nouvelle génération de robots industriels, mobiles et évolutifs, capables de travailler « en bonne intelligence » avec leurs collègues humains…

Le nouveau type de robot que prépare Airbus est en fait un « cobot », un robot collaboratif conçu pour l'aide à l'assemblage d'éléments d'aérostructures sur les appareils A 350 et A 380. Contrairement à la plupart des robots industriels actuellement en service, le «cobot» Asimov est prévu pour évoluer et travailler au milieu des êtres humains et en étroite coopération avec eux. Bien entendu ces « cobots » pourront effectuer simultanément ou successivement plusieurs tâches différentes mais surtout ils pourront à terme être commandés de manière intuitive par la voix, le geste ou le regard.
Dans l’éducation, les robots sont également en train de faire une entrée remarquée. Le 21 janvier dernier, la terminale SSI (Sciences de l’ingénieur) du lycée la Martinière-Monplaisir, à Lyon, a accueilli un nouvel élève d’un genre un peu particulier puisqu’il s’agit d’un robot destiné à permettre à un élève absent, pour cause de maladie par exemple, d’assister aux cours et d’interagir avec les enseignants et ses camarades via cette téléprésence robotique !

La partie logicielle de ce robot, conçu par le fabricant américain Anybots, a été développé conjointement par l’Institut français de l’éducation, l’Université Lyon-I, le Learning Lab de l’école centrale de Lyon et l’EM Lyon business School. A partir de la rentrée prochaine, trois exemplaires de ce robot seront testés pendant deux ans dans trois lycées pilotes de Rhône-Alpes, à Lyon (Rhône), Saint-Etienne (Loire) et Bourg-en-Bresse (Ain).

Mobile grâce à ses roues, ce robot-élève peut se déplacer à l’intérieur de l’établissement scolaire et bien entendu communiquer avec l’élève, via un réseau Wifi dédié ou une connexion 4G. Ce type de robot n’est d’ailleurs pas réservé au milieu scolaire et il est déjà employé dans certains hôpitaux où il permet au chirurgien ou au chef de service d’interagir à distance avec les patients et le personnel soignant.

Dans le domaine militaire, que j’avais déjà évoqué dans mon éditorial du 22 mars 2013 (voir RT Flash), les robots sont également en train de s’imposer. Il y a quelques jours, l’armée américaine a en effet annoncé qu’elle allait réduire ses effectifs globaux de 22 % d’ici 2020. Ceux-ci passeront donc de 540 000 à 420 000 hommes. Cette réduction n’a pas seulement des raisons financières ; elle répond également à une volonté de construire une défense plus efficace, plus souple et plus opérationnelle, capable de réagir très rapidement à de nouveaux types de menaces diffuses et changeantes, bien éloignées des conflits clairement identifiés que nous avons connus pendant des millénaires.

Dans ce nouveau cadre stratégique et tactique, l’armée américaine mise sur le recours à de nouvelles générations de robots, en cours de développement, capables d’évoluer sur tous les types de terrain de manière autonome et de démultiplier la capacité d’observation et d’action des soldats en mission. Il s’agit également d’exposer le moins possible la vie des soldats car les opinions publiques supportent de moins en moins l’idée de pertes humaines élevées, même dans le cadre d’un conflit militaire. Dans un premier temps, ces robots seront essentiellement utilisés dans la logistique, le ravitaillement, l’observation ou le recueil d’informations.

Mais les états-majors de tous les grands pays développés reconnaissent à demi-mot qu’à terme, c’est-à-dire d’ici une dizaine d’années, cette logique commencera à s’inverser : on assistera alors à l’émergence de configurations militaires composées d’un nombre restreint de soldats très protégés qui disposeront non seulement d’une multitude d’androïdes terrestres et volants d’assistance et observation mais qui commanderont également de redoutables robots de combat qui monteront en première ligne pour éviter d’exposer directement la vie des combattants…

Mais en attendant que se réalise ce scénario digne de « Terminator », le célèbre MIT de Boston travaille déjà sur un projet ambitieux visant à rendre la robotique accessible au plus grand nombre. En permettant à chacun de concevoir et de programmer son robot personnalisé en quelques heures ! Étalé sur cinq ans, ce projet baptisé « An Expedition in Computing for Compiling Printable Programmable Machines » (Voyage dans l’informatique pour l’assemblage de robot imprimés programmables - Voir CSAIL) est développé conjointement dans le laboratoire d’informatique et d’intelligence artificielle (CSAIL) du MIT, l’Université de Pennsylvanie et l’Université Harvard.

Ces chercheurs partent du constat suivant : actuellement, le développement et la fabrication d’un robot constituent un processus long et coûteux qui peut prendre plusieurs années, ce qui freine sensiblement la diffusion de la robotique à l’ensemble des champs d’activité humaine. Pour faire sauter ce verrou technologique et industriel, ces scientifiques veulent combiner les avancées récentes en matière d’impression 3D, les outils numériques et l’intelligence artificielle. L’idée est de créer une plate-forme de développement qui permette à n’importe qui de concevoir et de fabriquer son robot personnalisé, à partir d’une bibliothèque de modèles et d’imprimer ensuite ce robot en quelques jours !

Cette accélération de l’arrivée des robots dans tous les domaines n’a pas échappé à tous les géants de l’informatique et du numérique et notamment à Google. Après avoir acheté, fin 2013, Boston Dynamics, qui conçoit des robots très évolués et capables de se déplacer sur tous les types de terrain, le géant numérique vient d’annoncer qu’il a racheté Deepmind, entreprise britannique spécialisée dans l'intelligence artificielle. La stratégie de Google est simple : en combinant les compétences de Boston Dynamics et de Deepmind, la firme tentaculaire vise la mise au point d’un robot humanoïde intelligent, qui pourra se déplacer, raisonner et  réagir comme un être humain…

Cette irrésistible montée en puissance des robots dans tous les secteurs d’activité va évidemment avoir des conséquences économiques, sociales et humaines considérables. A cet égard, il faut lire le rapport éclairant publié en septembre 2013 par Carl Benedikt Frey et Michael Osborne, deux Professeurs de la célèbre Université d’Oxford (Voir Etude).

Dans cette étude de 73 pages, ces deux chercheurs ont étudié l’impact qu’auront les nouvelles technologies sur l’emploi. Ils ont estimé, en intégrant différents critères, comme le salaire et le niveau de formation, la probabilité d’automatisation pour 702 professions différentes sur le marché du travail américain. Le résultat est saisissant puisque, selon ces chercheurs, l’automatisation matérielle et informatique, combinée à la robotique intelligente, va toucher 47 % de l’ensemble des emplois américains d’ici 20 ans !

Pendant ce temps, le marché mondial de la robotique, estimé à environ 25 milliards d’euros en 2013, dont 85 % correspondent à la robotique industrielle et 15 % à la robotique de services, devrait connaître un formidable essor et atteindre au moins 100 milliards d’euros en 2020.

Cette évolution pose évidemment une question fondamentale : la généralisation des robots entraînera-t-elle finalement une destruction nette d’emplois ou provoquera-t-elle au contraire la création de nouveaux emplois qui viendront avantageusement se substituer aux anciens ? Ce débat est loin d’être tranché et fait l’objet de vifs affrontements entre économistes, notamment outre-Atlantique. Certains chercheurs, comme Erik Brynjolfsson et Andrew McAfee du MIT sont persuadés que cette montée en puissance de l’automatisation et  de la robotique vont entraîner, in fine, une destruction massive d’emplois, une évolution déjà perceptible selon eux, si on observe la progression du nombre de sans-emploi, qui a dépassé les 200 millions dans le monde en 2013, ou la destruction nette d’emplois aux États-Unis : plus de 7 millions d’emplois perdus en cinq ans !

Cet avis n’est pas partagé par tout le monde et d’autres économistes, comme Henrick Christensen, titulaire de la chaire robotique à l’Institut de technologie de Géorgie, est pour sa part persuadé que l’automatisation et la robotique, en améliorant la productivité et la compétitivité, permettront de créer finalement plus d’emplois qu’elles n’en auront détruits et de réindustrialiser nos vieilles économies sur de nouvelles bases technologiques. Ce chercheur prévoit en outre que ces nouveaux emplois seront plus créatifs, plus qualifiés et mieux payés que les anciens emplois industriels.

Quoi qu’il en soit, on voit bien que l’arrivée bien plus massive et rapide que prévu de ces robots polyvalents et autonomes dans tous les secteurs d’activité de notre société, va entraîner des bouleversements majeurs et imprévisibles sur le plan économique, social et culturel. Même si ces robots sont appelés à nous rendre de grands services en matière de santé, d’éducation ou encore de sécurité, il ne faut pas sous-estimer l’importance des représentations symboliques et de la part d’irrationnel et de sentiment d’altérité qui habitent chaque être humain.

Il n’est donc pas du tout impossible, comme l’avait d’ailleurs envisagé Asimov, que ces robots humanoïdes qui seront capables de comportements et de réactions proches de ceux des humains, puissent être victimes d’une nouvelle forme d’ostracisme et puissent susciter, selon l’évolution de la situation économique, un rejet violent…

Face à cette révolution économique, technologique, sociale et culturelle que représente l’arrivée massive et inéluctable des robots dans nos vies quotidiennes, nous ne devons pas céder aux illusions d’une technophilie naïve et béate et veiller, par une réflexion collective dans les champs philosophique, éthique et politique, à ce que cette coexistence inévitable entre l’homme et les robots soit porteuse d’une véritable finalité collective.

Dans cette perspective, il nous appartient de construire ensemble un projet politique et social qui utilise cet extraordinaire saut technologique pour augmenter la capacité de créativité et d’épanouissement individuel et produire une société non seulement plus prospère mais également plus juste et plus humaine.

René TRÉGOUËT
Sénateur Honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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