mercredi 29 août 2012

La force de l'habitude : copier rapporte gros


Et si Samsung avait eu raison de copier Apple ?

Samsung a été condamné à verser une amende spectaculaire de plus d'un milliard de dollars à Apple pour des violations de brevets liés aux iPad et iPhone. Un montant pourtant loin d'être catastrophique si on le compare à l'argent que le fabriquant sud-coréenne a gagné en copiant.
 
Le jury a condamné le sud-coréen Samsung à verser à Apple plus d'un milliard de dollars (840 millions d'euros) pour des violations de brevets liés aux iPad et iPhone.
Le jury a condamné le sud-coréen Samsung à verser à Apple plus d'un milliard de dollars (840 millions d'euros) pour des violations de brevets liés aux iPad et iPhone. Crédit Reuters

Sur le site américain dédié à l'économie tech, Pando Dailyl'analyste Farhad Manjoo a publié le 25 août un point de vue sur le jugement du  procès Apple-Samsung, dans un article qui est aussi un rappel de la saga tech ébouriffante qui a révolutionné le monde et nos vie en seulement quatre ans, avec une morale low tech et universelle : le crime paie. 

2008, l'année clé

Cette saga commence à l'automne 2008, un an après le lancement de l'iPhone. Sans que personne ne se préoccupe beaucoup de ces choses-là à l'époque, en pleine crise des sub primes, Apple le petit débutant en téléphonie était déjà la société aux téléphones les plus rentables. Nokia, incontournable géant à l’époque, avait vendu 113 millions de téléphones dans le monde, dont environ 10% de téléphones "intelligents", et gagné 1,2 milliard de dollars sur ces produits. Durant ces quatre mois, Apple avait vendu seulement 4 millions d'iPhone, et empoché... 1,3 milliard de dollars (Farhad Manjoo reprend à ce sujet une animation de Horace Dediu sur les courbes de ventes depuis 2007 publiées sur le site Asymco). Les concurrents d'Apple savaient bien qu'il fallait prendre une décision, et vite : mais laquelle ? 

Les trois stratégies des concurrents d'Apple

"Une possibilité était de ne rien faire. Beaucoup de compagnies ont opté pour cette voie - Nokia et RIM, par exemple, semblent avoir jugé que l'iPhone était juste une mode passagère, un objet pour fétichistes qui ne plairait jamais à la masse, alors, pourquoi s'embêter à le concurrencer ?" 
Surpasser Apple était une autre stratégie, que Palm, et Microsoft plus tard, ont choisi. Et quant à la troisième...
"Vous pouviez juste copier  Apple. Vous pouviez emprunter les idées de iPhone, faire une vague tentative pour les habiller dans le style de votre propre marque, et mettre le tout au four pour en faire votre ligne de produits". 
Quatre ans et des tonnes de dossiers juridiques plus tard, quelle est la morale de l'histoire ? 
"Il est tentant, après un verdict aussi radical en faveur d'Apple, de conclure que la décision de Samsung de singer l'Iphone était une terrible erreur. La firme risque maintenant au moins un milliard de dollars en dommages et intérêts, et le juge pourrait tripler cette somme. Samsung fera certainement face à des interdictions de vente de beaucoup de ses produits, et sera contraint de re-dessiner vite ses modèles en contournant les brevets Apple pour ses modèles actuels et à venir. D'autres compagnies qui se sont inspirées de Apple - dont Motorola, HTC, et au bout de la chaine, Google - vont aussi sentir le jugement passer. Mais si vous étudiez ce qui s'est passé dans l'industrie du mobile depuis 2007, une morale différente s'impose. C'est celle-ci : la copie paye". 
"Des trois voies ouvertes aux constructeurs dans le sillage de l'iPhone - ignorer Apple, faire mieux qu'Apple, ou copier Apple - le choix de Samsung est celui qui a le mieux marché. Oui, la copie de Samsung était assez amateur et on y sentait la panique, et maintenant, il va devoir payer pour ses indélicatesses. Mais les coûts de ses détournements de brevets est bien moindre que ce que Samsung a gagné en copiant. Au cours des dernières années, grâce à sa brillante façon de copier, Samsung est devenu une puissance mondiale dans le business du smartphone. Ce verdict ne peut plus rien pour annuler son succès".
"Les deux autres stratégies, pendant ce temps-là, n'ont pas réussi. Ignorer Apple s'est achevé en désastre pour RIM et pour Nokia. Tenter avec noblesse de surpasser Apple n'a pas marché non plus. Palm a dépensé tellement d'argent et de temps à créer une réponse à l'iPhone que, quand il a finalement sorti le Pre à l'été 2009, il fallait que ce produit devienne un mega-blockbuster. Comme cela ne s'est pas produit, c'était rideau pour Palm".



La prime à l'habitude

"La plupart des consommateurs apprécient l'habitude. Quand les gens autour du monde ferment leurs yeux et visualisent un "smartphone", l'iPhone est ce qui leur vient à l'esprit. L'interface et le design de l'iPhone sont "embedded" dans la culture, aussi familiers désormais que la souris ou le volant de voiture". Sortir du format Apple, même pour quelque chose de mieux, n'est pas quelque chose que les gens souhaitent. C'est peut-être pour cette raison que depuis 2007, seuls deux fabricants de téléphones mobiles ont enregistré des profits constants et en croissance : Apple et son "jumeau" Samsung. Les bénéfices d'Apple sont bien sûr historiques : depuis le lancement de l'iPhone, il a gagné au moins 70 milliards de dollars avec ce seul produit. Mais les chiffres de Samsung ne sont pas de ceux dont on se moque. Pour la même période, Samsung a fait environ 25 milliards de dollars de bénéfices sur ses portables. Si le procès pour violations de brevets finit par coûter à la compagnie trois de ces milliards, cela ferait à coup sûr mal. Mais cela ne serait pas catastrophique, si on les compare à l'argent que Samsung a gagné en copiant". 
"Copier Apple n'a pas seulement permis à Samsung de faire des bénéfices monstrueux. Cela a aussi à la marque de se faire une réputation parmi les consommateurs et les testeurs de high tech, en tant que fabricant capable de proposer des produits intéressants. Oui, c'était évident que beaucoup des idées de Samsung n'étaient pas les leurs. Mais les consommateurs ne font pas attention à l'authenticité. Si c'était le cas, Windows n'aurait pas conquis le monde des PC, et nous utiliserions tous Friendster, et non Facebook".

Samsung, seul concurrent de Apple

"La décision de Samsung de copier Apple a aussi été sans contexte bon pour les consommateurs. Si ce n’était pour Samsung et Google, Apple n'aurait eu aucune concurrence réelle dans les smartphones - ce qui aurait été très bien pour les actionnaires d'Apple, mais mauvais pour tout le monde, y compris les clients d'Apple. Après tout, si ce n'était pour la concurrence sauvage de Samsung, Apple aurait-il décidé, par exemple, de vendre son modèle de l'année précédente avec une ristourne de 100 dollars chaque année ? Aurait-il intégré le coûteux système d'exploitation graphique Retina sans augmenter le prix du téléphone ? S'il n'avais pas vu la concurrence d'Androïd, aurait-il transformé MobileMe en iCloud ? Nous ne pouvons pas en être sûrs, mais le fait que Samsung et d'autres fabricants d’Androïd progressent si vite a certainement pesé sur les décisions de Steve Jobs et Tim Cook".
Même ce douloureux procès est, selon Fahrad Manjoo, une opportunité pour Samsung : désormais surveillé de très près, il ne peut que prendre la voie de l'innovation légale, dont il est capable, et qui va là encore payer. Rétrospectivement, conclut l'analyste, "copier était la meilleure chose que Samsung puisse faire. Et cela a vraiment payé en retour"

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