mardi 18 septembre 2012

Suicides à la chaîne chez le géant Foxconn



(REUTERS/Stringer)

REPORTAGE A Shenzhen, onze jeunes employés du sous-traitant chinois d’Apple, Dell ou Nokia se sont donné la mort depuis le début de l’année. Notre envoyé spécial a rencontré les ouvriers de cette usine d’électronique, surmenés, brimés et isolés.

Par PHILIPPE GRANGEREAU Envoyé spécial à Shenzhen (Chine)
La porte sud de l’usine Foxconn est gardée comme une caserne. Portail électronique, fouille obligatoire. Les sentinelles manifestent une allergie particulière à l’endroit des journalistes qui viennent enquêter sur les onze suicides survenus depuis le début de l’année au sein de cet atelier du monde, de taille démesurée. Plus de 300 000 ouvriers y fabriquent à la chaîne l’iPhone d’Apple (1), les téléphones portables Nokia, les consoles de jeu de Sony et les ordinateurs de Dell et Hewlett-Packard.
L’usine de Shenzhen n’est pourtant qu’une miette de l’empire de la sous-traitance électronique du Taïwanais Terry Gou. Plus de 800 000 ouvriers travaillent dans la douzaine d’usines Foxconn de Chine. Son «modèle», révélait Terry Gou en 2007 dans l’une de ses rares interviews, est le conquérant mongol du XIIIe siècle Gengis Khan. «Il ne faut pas craindre d’être un dictateur quand c’est pour le bien de tous», lit-on dans un manuel destiné à ses contremaîtres. Sur les murs de l’entreprise, il a fait inscrire «Le démon est dans le détail», une devise censée inciter à la minutie les ouvriers qui travaillent à la chaîne, où le même geste est répété en moyenne toutes les sept secondes.
La plupart des employés qui ont mis fin à leurs jours à l’usine Foxconn de Shenzhen, située à la frontière de Hongkong, ont plongé du haut des dortoirs modernes où ils vivent entassés à dix par chambrée. Quatre filles et six garçons, âgés de 19 à 24 ans. Même les ingénieurs ne sont pas à l’abri. L’un d’eux, Yan Li, est «mort de surmenage», le 26 mai, après avoir travaillé vingt-quatre heures d’affilée, vient d’annoncer sa famille, qui réclame 250 000 yuans (30 000 euros) de dommages à Foxconn. Jeudi dernier, le lendemain du décès de l’ingénieur, un employé s’est taillé les veines, mais a pu être sauvé à temps. Hier, la situation était jugée suffisamment sérieuse pour que Steve Jobs, le gourou d’Apple, déclare que son groupe «s’attelle au problème», tout en qualifiant l’usine de Foxconn de «chouette».
«Mingong».«Douze heures par jour, six jours par semaine, pour 1300 yuans par mois [156 euros], n’y a-t-il pas de quoi être déprimé ?» répond Yao Wen, 19 ans, quand on lui demande pourquoi un tel vent de désespoir souffle sur son usine, qui, jusqu’alors, ne connaissait qu’un ou deux suicides par an. «Et puis, il y a aussi les déboires sentimentaux et sans doute la fatigue.» Yao, tout comme ses pairs, est un mingong (travailleur migrant) venu des campagnes où l’agriculture ne rapporte plus. Il envoie une partie de ses gains à ses parents qui en ont besoin pour vivre. Mais il a l’impression de n’être ici qu’une simple vis dans un rouage, et, pire encore, une vis qu’on peut remplacer sans que personne s’en aperçoive. «Je ne suis ici que pour l’argent, mais, à vrai dire, à Foxconn, c’est même plutôt mieux que dans les petites usines où j’ai travaillé avant.»
Les suicides en série n’ont pas dissuadé Xiao Lan, 19 ans, venue de son village de la province du Hunan. Avec des centaines d’autres, elle fait la queue depuis 5 heures du matin dans l’espoir d’être embauchée. «Mes parents s’inquiètent et m’appellent sans cesse au téléphone. Ils ont entendu plein de choses à la radio et, pour eux, Foxconn est devenue "l’usine du suicide". Mais j’ai plein d’amies qui y travaillent, et elles disent qu’on est mieux traité qu’ailleurs.» Quand les commandes affluent, Foxconn embauche jusqu’à 3 000 ouvriers par jour. Presque autant quittent l’entreprise, souvent par épuisement. En moyenne, 10% de la main-d’œuvre est renouvelée tous les mois. Pour être embauché, il faut avoir 18 ans, parfois seulement 16, et être en bonne santé. «Si on ne travaille que les huit heures quotidiennes requises, on ne touche que 900 yuans [108 euros] mensuels, et ce n’est pas assez, explique Yao. C’est pourquoi presque tout le monde fait des heures supplémentaires. Mais la fatigue venant, gare à l’erreur, car les contremaîtres peuvent vous insulter et même vous maltraiter[lire ci-contre].»
Dédommagement. Les familles des ouvriers suicidés auraient perçu entre 100 000 et 400 000 yuans de dédommagement (de 12 000 à 48 000 euros) et beaucoup y voient la raison qui aurait poussé ces jeunes au suicide. «Foxconn accorde un minimum de 100 000 yuans à la famille de toute personne qui décède dans l’usine, rapporte un ancien ouvrier qui souhaite rester anonyme. Imaginez que vous êtes un jeune de la campagne, que vos parents espèrent que vous allez leur envoyer de l’argent, que vous êtes abruti par ce travail répétitif, déprimé par le peu que vous gagnez, peut-être par une histoire de cœur… L’idée d’assurer l’avenir de votre famille en mettant fin à vos jours peut-être tentant.» Contactée, la direction de Foxconn n’a pas répondu à ces allégations, mais a tenté cette semaine de faire signer à ses ouvriers une lettre dégageant l’entreprise de toute responsabilité en cas de décès. Plusieurs médias ont crié au scandale et l’initiative a fait long feu.
Le patron, Terry Gou, avait tout d’abord réagi nonchalamment à la vague de suicides, qu’il a tenté de conjurer en invitant des moines bouddhistes à célébrer des offrandes sur les lieux du drame. Plus judicieusement, il a décidé d’embaucher des équipes de psychologues, d’installer une ligne de téléphone SOS-suicide, puis, cette semaine, d’augmenter tous les salaires de 20%. Hier, l’entreprise a annoncé que la hausse générale des salaires serait de 30%… un crève-cœur pour Terry Gou, adepte du «cost-cutting», rognant ici et là incessamment, centime par centime.
«Dans la cantine, explique un ouvrier, il est interdit, sous peine de réprimande, de laisser quoi que ce soit dans son assiette.» Sur les chaînes de montage, qui fonctionnent 24 heures sur 24, les erreurs peuvent se traduire en amendes, qui réduisent parfois considérablement le salaire. «A Foxconn, les ouvriers sont soumis à un régime quasi-militaire, analyse Cai Chongguo, un expert de la condition ouvrière du China Labour BulletinIls sont privés de vie familiale et amoureuse. Issus des zones rurales, ils se rendent vite compte que leur salaire de misère ne leur permettra jamais de fonder un foyer, ni d’avoir une place dans la vie urbaine. Ils se sentent comme en prison.» Ces suicides en série sont, pour cet expert, l’expression d’un malaise plus général de la classe ouvrière chinoise, de plus en plus revendicatrice en raison d’une hausse générale des prix depuis janvier. De nombreuses grèves ont éclaté ces derniers mois, phénomène étonnant dans un pays où les syndicats indépendants sont proscrits. A Foshan, près de Shenzhen, 1 900 ouvriers de Honda ont cessé le travail depuis le 17 mai, en s’organisant clandestinement, en partie grâce à Twitter, paralysant toutes les usines de l’entreprise japonaise en Chine. Une augmentation de salaire de 24% aurait permis la reprise du travail hier, selon Honda. «On assiste peut-être, estime Cai, aux prémices d’un changement du modèle de production chinois basé sur les bas salaires.»
(1) Apple et Foxconn n’ont pas voulu confirmer ou infirmer les informations selon lesquelles l’iPad était bien fabriqué dans cette usine.


Un reporter infiltré chez Foxconn raconte la production des iPhone 5

Dans l’usine Foxconn de Tai Yuan en Chine, les ouvriers ont l’immense privilège de fabriquer la coque en aluminium de dernier iPhone. Une toutes les trois secondes. 

http://www.01net.com/editorial/573205/un-reporter-infiltre-chez-foxconn-raconte-la-production-des-iphone-5/
Les dortoirs accueillants de Foxconn
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Dans l’usine d’assemblage de Foxconn à Tai Yuan en Chine, le travail, c’est aussi une question de fierté.« Ça, c’est la nouvelle coque de l’iPhone 5. C’est un honneur pour vous de pouvoir la produire », explique le superviseur aux 48 ouvriers dont il a la responsabilité et qui viennent de commencer leur nouveau cycle de travail.   
Cet épisode a été relaté par l’un de ces ouvriers, en réalité un journaliste de l'agence chinoise Shanghai Evening Post. Il s’est fait passer pour un travailleur migrant, s’est fait embaucher par Foxconn et, pendant dix jours, il va noter ce qui lui arrive : l’accueil glacial, l’hébergement spartiate, les cadences infernales, etc.
Le journaliste en question avait une tâche très précise à réaliser : poser quatre marques sur le boîtier en aluminium à l’aide d’un stylo spécial. Et cela tous les trois secondes, soit environ3 000 boîtiers au cours de ses dix heures de travail. Pas très réjouissant.
L’article du reporter chinois a été publié dans une édition du Shanghai Evening Post. Une traduction en anglais est disponible sur Micgadget.

A compter du 1er octobre 2010, l'entreprise qui fournit des composants électroniques à Dell, Apple et Hewlett-Packard fera passer les salaires mensuels de ses ouvriers de 1.200 yuans à 2.000 yuans (290 dollars).

Le groupe taïwanais Foxconn Technology, qui a récemment déploréune dizaine de suicides dans ses usines de Shenzhen, dans le sud de la Chine, a annoncé ce lundi une hausse de 70% des salaires des employés dans ces usines.
A compter du 1er octobre, l'entreprise qui fournit des composants électroniques pour des multinationales comme Dell, Apple, Hewlett-Packard, fera passer les salaires mensuels des ouvriers travaillant à Shenzhen de 1.200 yuans à 2.000 yuans (290 dollars), a déclaré une porte-parole du groupe.
«Cette augmentation de salaires va réduire les heures supplémentaires en tant que nécessité pour certains employés et elles constitueront désormais un choix personnel pour beaucoup d'employés», indique Foxconn dans un communiqué.
«Nous reconnaissons notre responsabilité en notre qualité de leader dans la fabrication de composants électroniques et nous prenons cette responsabilité très au sérieux», a déclaré le président et fondateur du groupe, dans un communiqué.
En cinq mois, une dizaine d'employés se sont suicidés dans les usines de Shenzhen, mettant en lumière les conditions de vie éprouvantes des ouvriers d'un pays dont les manufactures ont fait la richesse depuis trente ans.
Pour des groupes de défense des travailleurs, cette série de suicides dans les usines chinoises du groupe taiwanais reflète les difficiles conditions de vie de millions d'ouvriers en Chine, astreints à de longs horaires et d'intenses pressions, vivant souvent dans des dortoirs et loin de leurs familles.
Vendredi, les autorités chinoises avaient annoncé qu'elles autorisaient une vague d'augmentations du salaire minimum face à un mécontentement des salariés illustré par des conflits sociaux croissants. A Pékin, le salaire minimum mensuel va être relevé de 20% à 960 yuans (115 euros) à partir du 1er juillet, avait rapporté le quotidien Global Times.
(Source AFP)

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