jeudi 4 juillet 2013

Les nouvelles technologies du vin

Repris de http://www.liberation.fr/economie/2013/06/16/technologies-le-vin-bouge_911295


Technologies: le vin bouge


ENQUÊTE Drones, satellites, robots, sondages des sols et des grappes, analyses et dosages ultraprécis… De l’optimisation des vendanges à la lutte contre la contrefaçon, la high-tech investit les bouteilles.

Un drone au dessus des vignes du domaine de Lafon-Rochet, dans le Médoc.
Un drone au dessus des vignes du domaine de Lafon-Rochet, dans le Médoc. (Franck Perrognon pour Libération)

Un drone survole depuis avril les vignes du château Lafon-Rochet, dans le Médoc. La Corée du Nord espionnerait-elle ce précieux saint-estèphe ? En réalité, les Tesseron, propriétaires et exploitants, s’amusent comme des petits fous avec cet engin qu’ils pilotent grâce à leur iPad. Ils filment et photographient leurs parcelles sous toutes les coutures. «Cela nous permet de vérifier que chaque cep a bien reçu sa dose de bouillie bordelaise [fongicide naturel, ndlr] ou de repérer des zones trop humides, et dont il va falloir s’occuper», énumère Basile Tesseron. L’héritier trentenaire muerait-il en geek du raisin ? Depuis quelques années, vin rime avec innovation et high-tech. Et pas seulement dans le noble Bordelais. Même les vignerons de la coopérative de Buzet (Lot-et-Garonne) viennent d’annoncer, avant Vinexpo (le «mondial» du vin qui se tient à Bordeaux cette semaine) qu’ils utilisaient désormais ces drôles de robots volants. Après la révolution œnologique des années 80, une révolution technologique est à l’œuvre. La preuve, de la grappe à la table.

Raisins et vendanges

Pas encore convertis au drone, mais déjà aux vendanges… par satellite. La famille Cazes (château Lynch-Bages) a dégagé un budget important (150 000 euros) pour faire autopsier les précieuses terres de ce cru classé (pauillac). L’opération comprend notamment l’achat d’images-satellites proposées depuis peu par la société ICV (en association avec Astrium) via le système «Œnoview», qui fournit au vigneron une photographie de la «vigueur» de ses vignes, figurée du gris clair (bof…) au vert foncé (excellente). «La précision est de trois mètres, cela nous permet de sélectionner les meilleurs raisins à l’intérieur de chaque parcelle pour le grand vin», explique Nicolas Labenne, directeur technique. Le dispositif est complété de caméras embarquées sur tracteurs (système «Greenseeker») filmant les rangs de ceps dans le sens de la hauteur, avec cette fois une précision de un mètre. Comme sur un site de paléontologie, des signaux électriques seront aussi envoyés dans les sols afin de déterminer leur «résistivité» (conductivité), donc leur nature (argileux, sableux, etc.). Avec ce travail de Romain, le château a pu identifier «quarante terroirs différents» en deux ans, et affirme savoir optimiser les dates de vendanges, limiter au strict nécessaire les injections de fumier, etc. Du concret, donc.
Les vignerons se font parfois Géo Trouvetou, comme Xavier-David Beaulieu, copropriétaire de château Coutet (sauternes), patron de Vitirover, société ayant développé un… robot capable de tondre au plus près l’herbe autour des pieds de vignes ! «Faire du vin reste un art, mais la science nous apporte énormément, c’est pour cela que tous les grands crus s’y mettent. L’innovation nous apporte des réponses et nous permet d’aller plus loin», résume Thomas Duroux, directeur général de château Palmer (margaux). Lui va jusqu’à analyser en temps réel ses grappes juste avant vendange grâce à une sorte de pistolet laser (système «Multiplex») qu’il braque sur ses raisins pour en connaître la teneur en composés phénoliques (molécules du vin). In fine, tout est fait pour que la bonne grappe atterrisse dans la bonne bouteille - les grands crus produisent un grand vin, un second vin, un vin d’appellation, et de la revente au négoce, etc. Les mauvaises langues disent que, vu les prix pratiqués, ils n’ont pas droit à l’erreur. D’autres assurent que la technologie permet au vignoble de rattraper son retard sur le monde céréalier. «Dans la société numérique, l’information est devenue la base de notre métier», s’enthousiasme Basile Tesseron.

Vinification et élevage

Ou plutôt la technologie en général… comme le prouve la liste des trophées du dernier Vinitech (mondial d’équipementiers agricoles, fin 2012) : Vivelys (une bonde électronique limitant l’oxydation du vin en fût), Octa (unité mobile de pesage, traçage et lavage des cagettes de vendange), Diemme Enologia (palissage automatique par GPS), etc. Car la technologie s’immisce dorénavant jusqu’au sanctuaire des vinificateurs, le chai, là où l’homme prend le relais de Dame nature. Depuis le milieu des années 2000, une première application s’est largement répandue : le «tri optique», des yeux lasers capables - théoriquement - d’éliminer les baies indignes d’un bon cru. La technique (air pulsé), installée, est déjà critiquée, beaucoup estimant que, si elle fonctionne, elle n’est pas utile chaque année. Au domaine Palmer, comme dans beaucoup d’autres, on loue une machine si besoin est.
Pour Stéphane Derenoncourt, un des conseillers viticoles les plus cotés du moment, les grands vins restent un «monde sensitif», créatif, mais c’est aussi un «big business», et, du coup, au sein de cette technologie invasive, on voit apparaître aussi «beaucoup de conneries». Lui, le vinificateur qui parle à l’oreille des vignes, a pourtant adopté «Deos», procédé nanotechnologique permettant de maîtriser très finement les niveaux d’oxygène en cuve (avec des injections au microgramme près). Il l’utilise pour sa nouvelle gamme vedette, les parcelles.
Au Château Lafon-Rochet (saint-estèphe) dans le Médoc, mercredi 12 juin 2013.
Au Château Lafon-Rochet (saint-estèphe) dans le Médoc, mercredi 12 juin 2013 (photo: Franck Perrognon pour Libération).
Une nouveauté, toutefois, s’impose par son étrangeté un peu partout. De Michel Chapoutier (Rhône) à Bernard Magrez (Bordelais), les plus audacieux des vinificateurs démarrent l’expérience de vinification dans des cuves en forme… d’œuf. Explication : la forme ovoïde, «vivante»,aurait une influence déterminante sur l’élevage du vin, donc ses goûts futurs. «Un œuf, c’est une double sphère, la forme idéale pour élever un vin car cela donne perpétuellement du mouvement», argumente le Champenois Michel Drappier (maison du même nom), assurant être bel et bien «dans l’expérience et non dans la croyance». Il est un des premiers à vinifier dans une cuve ovoïde en bois (les autres sont en béton), «Ovum», lancée pour Vinexpo par le tonnelier charentais Taransaud, avec un prix catalogue de 30 000 euros TTC. Tout de même…

Etiquetage et transport

Charmant, mais la grande affaire du moment, c’est plutôt la lutte anticontrefaçon. La Chine affole les compteurs car si le pays est devenu premier client des Bordelais, les faux grands crus pullulent (il se vendrait là-bas plus de fausses bouteilles de lafite que de vraies). Jusqu’à récemment, les petrus, mouton et autre romanée ne pouvaient, faute de mieux, que conseiller de briser leurs bouteilles après consommation pour enrayer la réutilisation des précieuses étiquettes. Puis sont apparues plusieurs solutions malines, dont Prooftag, système s’imposant dorénavant sur une soixantaine de domaines. L’idée est née par hasard au sein d’un consortium électronique… breton, Novatec : en générant aléatoirement des empreintes sous forme de millions de minibulles, il devenait possible de créer, pour n’importe quel produit, une sorte «d’empreinte digitale» unique, que ce soit un passeport ou une quille d’Ausone. «Nous avons scellé 8 millions de bouteilles l’an passé, et l’idée révolutionnaire c’est que les clients, Français comme Chinois, peuvent les authentifier eux-mêmes en magasin par QR code[via leur smartphone]», explique Franck Bourrières, patron de Prooftag. «Nous avons adopté ce système de protection à partir du très spéculatif millésime 2009. Les bouteilles de grands vins sont en train de devenir intelligentes», ajoute Thomas Duroux, de Palmer, qui admet un surcoût minimal de 30 centimes par bouteille (un palmer 2009 cote 350 euros). Immense avantage, notamment pour les ventes aux enchères : Prooftag authentifie pour l’éternité un grand cru scellé. Christie’s vient de l’adopter pour ses opérations vedettes du printemps (collection Henry Tang à Hongkong, notamment).
L’intégrité des crus concerne aussi leur transport. Avec la mondialisation des grandes étiquettes, une caisse de vin peut faire plusieurs fois le tour de la planète, subissant couramment des accidents de température irrémédiables. «La résistance des vins a ses limites»,argumente inlassablement Bertrand Déchery, cofondateur de eProvenance, start-up faisant embarquer des capteurs capables de mesurer l’amplitude thermique encaissée par le vin, voire de le tracer en temps réel. A 5 000 euros la caisse - prix devenu courant pour un grand bordeaux d’un bon millésime -, ce traçage a de l’avenir.

Distribution et dégustation

Contagieuse, la techno ? Oui, même chez nos bons vieux cavistes.Libération (le 21 janvier) a raconté l’étonnante saga italienne des machines Enomatic, capables de conserver dix jours sous azote un vin dans sa bouteille. Dans ses Wine by One (deux établissements à Paris), Stéphane Girard les utilise pour proposer en permanence une centaine de cuvées à la dégustation. «Cette technologie nous a permis de créer une nouvelle clientèle, plus jeune, plus féminine, moins initiée, éloignée du bistro à vin traditionnel», raconte ce jeune patron, dont le concept commence à faire école (Taillevent l’a adopté pour sa brasserie «110»). Dans son sous-sol high-tech, le caviste futuriste proposera à la rentrée une nouvelle unité (encore en phase de test) distribuant des verres de champagne. L’idée de faire d’un bar à vin un vaisseau spatial - et d’élargir le marché - est toutefois née à Barcelone, chez Monvinic, établissement vinico-esthétique financé par un magnat de la pharmacie passionné. La carte des vins y a été digitalisée sous iPad (ce qui permet de s’informer sur une cuvée mais aussi d’en vérifier la disponibilité). Dans un décor à la Star Trek, on pourrait presque s’attendre à trinquer avec Monsieur Spock…
Photos Franck Perrognon
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