L'économie de l'identité numérique : esquisse de modélisation
Définition de l'externalité selon Dominique Henriet
" On dit qu’il y a externalité lorsque l’activité de consommation ou de production d’un agent a une influence sur le bien-être d’un autre sans que cette interaction ne fasse l’objet d’une transaction économique."
On distingue les externalités négatives et les externalités positives.
La pollution est l’exemple le plus typique d’externalité négative : lorsqu’une usine pollue son environnement en rejetant des déchets, elle inflige une nuisance aux habitants de la région. Cette pollution n’est pas nécessairement attachée à des rejets toxiques, elle peut être visuelle (la construction d’un équipement productif ou même de logements peut altérer la vue initiale des riverains), sonore, ou de manière plus générale, modifier certains équilibres naturels ce qui, indirectement, peut affecter le bien-être de certains agents de l’économie.
L’encombrement dû à la circulation automobile est un autre exemple d’externalité négative réciproque : chaque automobiliste gêne son voisin de sorte que l’augmentation de la circulation entraîne une congestion qui rend les déplacements de plus en plus difficile.
On parle d’externalité positive dans le cas où l’interaction aboutit à une augmentation de bien-être. L’effet de norme ou de club est l’exemple d’externalité positive réciproque : la valeur accordée par un consommateur à un produit ou à un service augmente lorque le nombre de consommateurs de ce produit ou service s’accroît. Ainsi en est-il par exemple du téléphone ou de la télécopie: plus le réseau est étendu, plus nombreux sont les correspondants accessibles et donc plus le raccordement devient intéressant pour un nouvel abonné.
Par conséquent, le coût commercial de recrutement des abonnés baisse, puisque les abonnés s'incitent les uns des autres à entrer dans le club. Par ailleurs, un service valorisé par son externalité positive pourra être vendu plus cher.
Par conséquent, le coût commercial de recrutement des abonnés baisse, puisque les abonnés s'incitent les uns des autres à entrer dans le club. Par ailleurs, un service valorisé par son externalité positive pourra être vendu plus cher.
La caractéristique d’une externalité est de ne pas être immédiatement associée à une transaction économique. Il en résulte que l’arbitrage présidant à la décision privée ne tient pas compte des coûts ou des avantages associés à l’externalité . Dans le cas d’une externalité négative cette omission aboutit à une augmentation des coûts et une perte de bénéfices. Dans le cas d’externalité positive cela conduit au contraire à une diminution des coûts et une augmentation des bénéfices.
Rendre possible un calcul économique exige la mise en place d’instruments dont l’objectif est d’internaliser l’externalité. C’est à dire des instruments susceptibles de réintroduire l’arbitrage privé les coûts ou les avantages des externalités.
Les concepts d'identité, de "panorama des identités" et de "chaos"
Nous nous donnons en préalable un idéal type (au sens de Max Weber) : un club suffisamment constitué pour être capable de supporter des transactions économiques entre des fournisseurs/vendeurs et des acheteurs/usagers. Nous définirons ce niveau de constitution comme une "communauté d'affaires". C'est à dire que devant un fournisseur/vendeur, les acheteurs/usagers apparaissent comme ayant une même "communauté" du point de vue d'une échelle de valeurs.
Symétriquement les acheteurs/usagers considèrerons comme "communautaires" les offres des fournisseurs/vendeurs du point de vue des normes prises en compte dans les produits et services offerts.
Ajoutons au terme "communauté" le qualificatif "numérique" : "la communauté numérique". Le numérique n'est pas à prendre au sens du codage, mais au sens du nombre ordinal. La communauté se calcule par la gestion des ordinalités dans le comptage des unités. Premier, second, troisième rang.. A un 1 s'ajoute un 1. A un 1000 s'ajoute un 1.. Nous en resterons ici au niveau de l'intuition des dimensions de l'ordinalité.
Donnons nous un idéal, où l'ensemble des externalités peuvent être décomposées et intégrées selon des "identités distinctes" dans une communauté.
Donnons nous un idéal, où l'ensemble des externalités peuvent être décomposées et intégrées selon des "identités distinctes" dans une communauté.
"L'externalité positive maximisée" serait le panorama de l'ensemble des identités telles qu'elles s'articulent de façon à apparaitre comme distinctes entre elles. Chaque identité apparait assez constituée pour fonctionner comme une "propriété commune". Par exemple, dans la communauté générale de la viticulture française, une appellation contrôlée "viticulture française bio" deviendrait une identité par la sommation de ses externalités positives.
En contraste, il faut concevoir un "Chaos" où aucune identité émerge de façon univoque. Toutes les distinctions sont brouillées. Par exemple, il aurait des appellations "viticulture française bio" pour des vins fabriqués en Australie selon des méthodes utilisant massivement des sulfites. Tout serait falsification car il suffirait d'un item pour fonder une identité. Par exemple, un pied de vigne aurait été acheté dans un domaine faisant du bio France, et cela suffirait pour étendre l'identité "viticulture française bio".
Nommons ce phénomène "pollution identitaire" et ses éléments "polluant identitaire". Ce sont les équivalents de "la pollution" et de "l'élément polluant".
UN MODÈLE DE "POLLUTION / DE DISPERSION IDENTITAIRE"
Utilisons un modèle simple de "Pollution/ Dispersion identitaire". Des sites, en nombre K, sont installées dans le Web et y déversent des "fragments identitaires" qui inhibent la formation de communautés proposant des "panoramas d'identités distinctes". La quantité de polluant identitaires déversée par un usager j (fournisseur ou acheteur) est notée . Le "panorama des identités" dépend de la quantité totale de fragments identitaires déversés, où désigne dans une communauté la qualité du "panorama des identités".
Sans aucune intervention régulatrice, les sites ne sont pas incités à réduire leur dispersion identitaire. Dans ce cas les sites déversent chacune une quantité de polluant identitaires égale à ce qui conduit à un " panorama des identités" de mauvaise qualité .
Pour les usagers du Web, la qualité du "panorama des identités" est un bien communautaire. Le consentement à payer de l'usager i (fournisseur ou acheteur) pour passer d’un panorama de qualité à un panorama de qualité y est notée . Le consentement marginal à payer correspondant sera noté .
Pour les usagers du Web, la qualité du "panorama des identités" est un bien communautaire. Le consentement à payer de l'usager i (fournisseur ou acheteur) pour passer d’un panorama de qualité à un panorama de qualité y est notée . Le consentement marginal à payer correspondant sera noté .
A chaque site, la communauté (le fournisseur initial du bien et du service) propose une technologie de traitement des polluants identitaires qui lui permet, moyennant un coût de fabrication d'identité, de rejeter moins de polluants identitaires dans le Web. On supposera que pour le site j le coût de fabrication d'identité pour passer d’une quantité de polluants identitaires à une quantité q s’écrit :
, s’interprète comme le coût marginal de fabrication d'identité. Ce coût marginal est d’autant plus fort que la quantité de polluants identitaires est fort. Si la quantité de polluants baisse, le coût marginal baisse : ainsi est traduit la difficulté décroissante inhérente à la fabrication d'identité dans la communauté.
Du point de vue de l’efficacité collective il y a un double arbitrage à réaliser : l’arbitrage entre le coût initialement élévé de fabrication d'identité et l’avantage de disposer d'un panorama communautaire peu pollué d’une part, et la répartition de la charge de fabrication d'identité entre les différents sites K d’autre part.
Il est clair d’abord que le coût total de fabrication d'identité, pour un niveau donné de polluants identitaires, doit être minimisé. Ceci impose donc que, pour chaque niveau total donné de polluants identitaires q envisagé, les quantités de polluants identitaires des différents usagers de la communauté (fournisseurs et acheteurs) soient :
C’est à dire telle que la répartition des polluants identitaires minimise le coût total.
Il en résulte qu’on doit répartir la charge de fabrication d'identité de manière à égaliser les coûts marginaux de fabrication d'identité :
Si ce n’était pas le cas il serait toujours possible, à une quantité totale donnée de polluants identitaires, de diminuer le coût total en autorisant une augmentation des polluants identitaires d'usager ayant un coût marginal élevé. Cela serait compensée par une diminution des polluants identitaires d'un usager ayant un coût marginal faible.
Concrètement, dans le Web, faute d'une régulation économique globale d'une communauté, les usagers initiateurs ayant des images identitaires fortes renforcent leurs identités numériques, tandis que les usagers nouveaux entrants porteur de polluants numériques ne font pas d'effort pour réduire leur pollution.
Nous en avons un exemple dans la relation entre Majors des médias et sites peer-to-peer.
Concrètement, dans le Web, faute d'une régulation économique globale d'une communauté, les usagers initiateurs ayant des images identitaires fortes renforcent leurs identités numériques, tandis que les usagers nouveaux entrants porteur de polluants numériques ne font pas d'effort pour réduire leur pollution.
Nous en avons un exemple dans la relation entre Majors des médias et sites peer-to-peer.
Imaginons que les Etats aient une intervention régulatrice qui poussent les nouveaux entrants à contribuer à l'effet de club, donc à prendre en compte non seulement les bénéfices mais aussi les coûts des externalités. Si l’on note :
le coût total de fabrication d'identité, on obtient par le théorème de l’enveloppe :
Le coût marginal total de fabrication d'identité (que l’on notera ) est égal, à l’optimum, au coût marginal commun de chacun des usagers.
Il s’agit ensuite de déterminer le niveau efficace de pollution identitaire totale. Clairement, la qualité de distinction des identités dans les panoramas communautaire est un bien commun pour l’ensemble des usagers du Web. L’équation nous donne alors la solution : la quantité efficace de fragments identitaires est solution de :
LES INSTRUMENTS DE LA RÉGULATION
Dans le paragraphe suivant, il faut considérer les notions de "taxe", de "subvention" et de fiscalité comme des moyens d'action d'une puissance régulatrice du web. On imaginer que le terme "taxe" représente un encadrement juridique de l'action des usagers par des droits à respecter.
A l'inverse, la "subvention" serait des encouragements à la formation de communautés spécifiques apportant un haut niveau de service aux usagers, services de qualité qui permettraient aux fournisseurs de facturer un prix conséquent.
A l'inverse, la "subvention" serait des encouragements à la formation de communautés spécifiques apportant un haut niveau de service aux usagers, services de qualité qui permettraient aux fournisseurs de facturer un prix conséquent.
Etant donné le cout d'effort de coopération à construire une identité forte, il n’y a aucune incitation, pour les usagers, à entreprendre une réduction de leur émission de fragments identitaires ? Quels instruments sont susceptibles de les responsabiliser?
La première idée serait d’appliquer le principe/ “ pollueur-payeur ” en "taxant" les sites en fonction de la quantité de polluants identitaires dispersés. C’est là, en quelque sorte, un instrument d’intéressement “ négatif ” : la pollution identitaire est sanctionnée.
La seconde solution consisterait à "subventionner" la fabrication d'identité. C’est plutôt là un instrument d’intéressement “ positif ” : la fabrication d'identité est récompensée.
Ces différentes solutions correspondent comme on le verra un peu plus loin à une répartition implicite des droits de propriété sur le “Bien Commun” environnement/ Web.
Examinons plus généralement l’incidence d’un instrument mixte comprenant, une "taxe" linéaire à la pollution d'identité , et une "subvention" affine à la fabrication d'identité comportant une partie forfaitaire et une partie proportionnelle au coût de fabrication d'identité, .
Face à un tel instrument, l'usager j choisit un niveau de polluants identitaires qui minimise le coût restant à sa charge :
c’est à dire vérifiant :
Comment faire alors pour que la décision de l'usager soit efficace? Un simple coût d’oeil suffit pour remarquer qu’en fixant les paramètres "fiscaux" de manière à avoir , où est le niveau efficace déterminé dans le paragraphe précédent, alors la puissance régulatrice du web incite chaque site à choisir le comportement optimal. En choisissant les paramètre "fiscaux" de cette manière, La régulation du Web" incite chaque site à un comportement efficace.
Il faut remarquer cependant que la fixation du schéma "fiscal/régulateur" optimal est fortement conditionné par l’information dont dispose la puissance régulatrice : il faut, d’après les équations précédentes, que la puissance régulatrice soit en mesure de calculer .
Par ailleurs, "taxe" et "subvention" apparaissent comme instruments substituts au sens où un niveau élevé de la "taxe" implique un niveau faible de la subvention. Pour , on obtient l’application du seul principe “ pollueur-payeur ” et le niveau de "taxe" doit être égal au coût marginal de fabrication d'identité, c’est à dire à l’optimum exactement égal à la valeur de la perte d'externalité positive associée à une pollution supplémentaire. Au contraire le choix d’une "subvention" élevée implique un niveau de "taxe" faible.
De manière schématique on voit que le dosage entre les différents paramètres "fiscaux" induit une répartition différente du surplus dégagé par rapport à la situation initiale : la "taxation" se fait au détriment des usagers, la "subvention" à leur profit.
De manière schématique on voit que le dosage entre les différents paramètres "fiscaux" induit une répartition différente du surplus dégagé par rapport à la situation initiale : la "taxation" se fait au détriment des usagers, la "subvention" à leur profit.
Externalités et droits de propriété
Une autre façon d’interpréter cet effet redistributif consiste à considérer la situation initiale (dispersion/pollution identitaire maximale) comme une configuration dans laquelle les droits de propriété sur un Bien commun, le "panorama distinguant les identités", font défaut.
Si l’on spécifie, par exemple, que le panorama “appartient” de plein droit aux initiateurs de la communauté, alors ceux-ci sont en mesure de “monnayer” l’usage de cet panorama comme réceptacle à polluants identitaires. La "taxe" s’interprète ici comme le prix de cet usage.
Au contraire, si l’on spécifie que le panorama “appartient” au nouveaux entrants, ceux ci sont en mesure de “vendre” la qualité de distinction du panorama, et c’est la "subvention" qui joue ce rôle.
Si l’on spécifie, par exemple, que le panorama “appartient” de plein droit aux initiateurs de la communauté, alors ceux-ci sont en mesure de “monnayer” l’usage de cet panorama comme réceptacle à polluants identitaires. La "taxe" s’interprète ici comme le prix de cet usage.
Au contraire, si l’on spécifie que le panorama “appartient” au nouveaux entrants, ceux ci sont en mesure de “vendre” la qualité de distinction du panorama, et c’est la "subvention" qui joue ce rôle.
Certains auteurs affirment que le problème des externalités est en fait causé par l’absence de droits de propriété clairement définis sur certains biens. Si le comportement d’un agent influence le bien-être d’un autre sans qu’il y ait transaction, c’est que la victime ne peut pas institutionnellement faire valoir un droit à “ ne pas être gêné ” ce qui peut dans de nombreux cas se traduire par un droit sur la propriété du “ vecteur ” de l’externalité : l’air, l’eau, le paysage, le panorama des identités...
Reprenons l’exemple des usagers au sein du web. Supposons que les usagers sont représentés par la puissance régulatrice et généralisons l’idée de droit de propriété sur "l’environnement/Web" de la façon suivante. La ressource identitaire est caractérisée, ex ante, avant toute intervention, par une panorama des distinctions d'identité de qualité .
Polluer/disperser les identités revient à consommer ce capital initial, à en affecter une partie à l’activité "faire du réseau pour le réseau".
Partager le droit de propriété sur le panorama des identités revient à répartir entre les réseauteurs et les "usagers/club de service spécifique" et à faire de cette répartition l’allocation initiale de l’économie Web. Notons la part de la propriété qui revient à un site de réseautage j. Cela veut simplement dire que le site de réseautage j a un droit initial de pollution/dispersion justement égal à .
Il en résulte alors en procédant de même pour tous les sites de réseautage, que la part qui revient à l'usager/club de service spécifique est . Nous sommes alors en présence d’une économie où le bien “environnement Web” fait l’objet de dotations initiales comme tout autre bien de l’économie.
En conclusion
L'économie de la qualité des services prime l'économie de la quantité. Dorénavant, le niveau d'activité économique est conditionné par la présence de clubs Web fournissant des services spécifiques.
La nouvelle économie Web consiste à arbitrer en faveur de clubs, de communautés de services spécifiques intégrant des échanges économiques valorisant les externalités positives, et réduisant les externalités négatives.
Voici un schéma qui donne, selon nous, une vue globale de la dynamique de l'économie du Web :
L'utilisation efficace des ressources ne consiste plus dans un arbitrage entre activités peu automatisés et activités très automatisés. Elle consisterait dans un arbitrage entre une utilisation brouillonne du web et une construction de clubs de services spécifiques ayant des identités assez fortes pour supporter des échanges économiques pluri annuels intégrant les effets bénéfiques des externalités négatives.
Un Web ne proposant que des activités de réseautage avec des liens d'identité faibles a pour conséquence la neutralisation des échanges économiques.
Voilà notre hypothèse qui serait à vérifier : par rapport aux Etats Unis et aux pays asiatiques, la faiblesse de la croissance occidentale et notamment française est la conséquence de l'utilisation inefficace du web.
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