D'après Le Monde.fr du 02.12.11
C'est un dossier de plus de cent pages, complet et très référencé, qu'ont reçu les principaux fournisseurs d'accès à Internet (FAI) et moteurs de recherche français.Publiée par PC inpact (PDF), l'assignation transmise à ces entreprises par trois syndicats de la vidéo détaille, pas à pas, le plan de lutte de l'industrie cinématographique contre les sites de streaming illégal. Un système qui pourrait aussi s'adapter à d'autres types de sites.
Car si la plainte des trois syndicats ne vise, initialement, que les quatre annuaires de liens de la galaxie Allostreaming, elle demande la mise en place d'un système de traitement des infractions à la propriété intellectuelle généralisable qui, s'il était mis en place, aboutirait à établir un outil de contrôle de l'accès aux sites, qu'ils soient ou non hébergés en France.
Il est possible de contourner ce type de blocages aisément : plutôt que de saisir"lemonde.fr", l'internaute peut directement écrire l'adresse IP du site, 94.127.75.170 par exemple. Les ayants droit demandent donc, "s'il était établi que la fréquentation des sites 'Allostreaming' ne s'en trouverait pas pour autant réduite à un niveau symbolique", d'ordonner le blocage direct de l'adresse IP de ces sites. Dans ces conditions, le contournement du blocage reste possible, mais est plus compliqué.
Un déréférencement des moteurs de recherche. Les syndicats professionnels ont toutefois envisagé une deuxième étape pour limiter encore davantage l'accès aux sites visés par la plainte : obtenir leur déréférencement des moteurs de recherche. Ils souhaiteraient idéalement pouvoir imposer aux FAI de bloquer les outils de contournement, comme OpenDNS ou Google DNS ; mais dans le cas où cela s'avèrerait impossible "pour des motifs juridiques", ils demandent que les moteurs de recherche déréférencent les sites visés par la plainte.
Pour cela, les plaignants demandent à Google, Yahoo! et Microsoft de "prendre toutes les mesures nécessaires" pour que les sites Allostreaming n'apparaissent plus dans leurs résultats de recherche, non seulement pour les résultats des domaines français (Google.fr, Bing.fr), mais aussi dans l'ensemble de leurs déclinaisons (Google.de, Bing.com…). Cette dernière demande a de fortes chances d'être contestée à plusieurs niveaux ; par le passé, les décisions de justice imposant des blocages de contenus se sont en général limitées à un domaine local.
L'assignation révèle également que Google, tout en contestant la légitimité juridique d'une première demande transmise par les trois syndicats cet été, a procédé au déréférencement des quatre sites Allostreaming dans son moteur de recherche. Seuls des sites au nom proche apparaissent aujourd'hui dans les résultats de recherche.
Un système de mise à jour automatisé. Surtout, et c'est là la principale originalité parmi les demandes des trois syndicats, ces derniers proposent la mise en place d'un système semi-automatisé de l'évolution des sites – et donc des blocages qui seraient mis en place. Un tel système permettrait d'éviter que les sites bloqués changent d'adresse IP ou de nom et échappent ainsi à un éventuel blocage. "Les risques d'évolution des situations constatées (...), la nécessité de prévenir tout effet secondaire indésirable prévisible, tel qu'un surblocage injustifié, ont conduit les demandeurs à missionner l'Alpa et TMG pour mettre au point, dans les limites du possible (…) un processus de vérification et de suivi des adressses IP et DNS."
Avec le concours de l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle et TMG, le prestataire de très nombreux ayants droit déjà chargé de collecter et detransmettre les adresses de téléchargeurs présumés à la Hadopi, les plaignants ont donc mis au point un système de suivi, décrit succinctement dans l'assignation publiée par PC Inpact. "Un dispositif logiciel a été mis au point pour permettred'effectuer un suivi permanent et en temps réel des sites, de leurs adresses IP et de leurs noms de domaine, pour signaler et traiter tout changement pouvantintervenir postérieurement à la décision judiciaire de blocage d'accès et de dé-référencement", précise le document. L'outil prévoit également "une intervention humaine (...) pour vérifier une situation signalée par le dispositif logiciel".
Le système décrit ne s'appliquerait, selon les demandes des plaignants, qu'aux sites qui ont déjà fait l'objet d'une décision judiciaire de blocage. Toutefois, le dispositif prévoit qu'en cas d'"apparition de sites nouveaux qui ne constituent que la copie de ceux dont l'accès a été bloqué", ceux-ci pourront être bloqués sans nouvelle décision de justice, après la validation d'un agent assermenté.
"Aucune des trois mesures n'est efficace à 100 % (…). Mais plus le contournement sera difficile, moins d'internautes y auront recours", note le document dans ses conclusions. Le texte évoque également une possible adaptation à d'autres types de diffusion en ligne, sans préciser lesquels ; mais le système décrit pourrait également s'adapter à des annuaires de liens BitTorrent, par exemple. Pour les ayants droit, il s'agit d'un ensemble de "mesures raisonnables et peu susceptibles de provoquer des dommages collatéraux". Une analyse que ne partageront vraisemblablement pas les FAI et les moteurs de recherche cités à comparaître le 15 décembre.
Blocage du streaming : les positions des principaux acteurs
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Les ayants droit. Ils demandent un triple blocage du site Allostreaming et de trois autres sites liés. Ils demandent aux FAI de bloquer à la fois l'accès à leur nom de domaine, mais aussi à leur adresse IP (Internet Protocol, l'adresse informatique d'une machine sur le réseau). Ils demandent également aux moteurs de recherche de cesser de référencer les quatre sites.
Les FAI. Les fournisseurs d'accès ne souhaitent pas s'exprimer sur une affaire en cours. La position de certains d'entre eux est cependant évoquée dans le texte de la plainte, publié vendredi 2 décembre par PC Inpact. Cet été, les ayants droit avaient en effet transmis une première mise en demeure aux FAI, à laquelle certains ont répondu – par la négative. Dans sa réponse, Orange affirme ne vouloir"en aucune manière prendre le risque de méconnaître les droits fondamentaux de ses clients (…) en procédant à la mise ne œuvre spontanée du blocage de certaines adresses IP". L'opérateur explique également qu'il "ne saurait se départirde la stricte neutralité qu'il observe à l'occasion de ses activités" de FAI.
De son coté, Free a incité les ayants droit à se tourner vers les hébergeurs des sites visés, estimant en outre que "les règles d'exploitation d'un réseau (…) ne lui permettent pas de mettre en œuvre un blocage de type DNS, qui au demeurant est d'une fiabilité aléatoire." Enfin, Darty se présente comme opérateur de service, et non comme opérateur de réseau, et se refuse à prendre toute décision avant une décision de justice. Les autres FAI n'ont semble-t-il pas répondu à la mise en demeure.
Les moteurs de recherche. Yahoo! a objecté aux ayants droit que son moteur de recherche utilisant la technologie de Microsoft, il serait nécessaire de s'adresser au géant américain du logiciel. Ce dernier, mis en demeure pour Bing, n'a pas répondu.
De son côté, Google France a répondu que l'opérateur du moteur de recherche est en réalité Google Inc, la maison-mère. Le premier moteur de recherche en France a toutefois confirmé aux ayants droit avoir "procédé à une désindexation des adresses URL" signalées par les ayants droit. En réalité, comme le souligne la plainte, le moteur de recherche est allé un peu plus loin, en déréférençant complètement les quatre sites et l'ensemble de leurs pages.
Les associations de défense des internautes. Pour Jérémie Zimmermann, porte-parole de l'association de défense des libertés numériques La Quadrature du Netjoint par le Monde.fr, "cette procédure n'est pas surprenante : les industiels demandent depuis des années une coopération avec les FAI. C'est la logique que l'on retrouve dans le traité ACTA, notamment, pour aboutir à des filtrages sans intervention du juge."
Pour l'association, ce type de procédures ne peut que conduire à une "course aux armements entre les censeurs et ceux qui veulent partager librement. A terme, lorsque l'automatisation des censures ciblées aura échoué, les industries demanderont la mise en place d'un filtrage par DPI [Deep Packet Inspection, une technologie très invasive permettant de surveiller les contenus transitant sur un réseau], actuellement interdit par la législation européenne."
Damien Leloup
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