Michel Volle :
"L'informatisation est le phénomène le plus important de notre époque. "*
De l'informatique, Ed. Economica, 2006.
Quel sens donner à la formule "le phénomène le plus important" ?
Information, calculs, automatisation seraient-ils les nouveaux fondements de notre société ? Une première approche incite à répondre "Oui".
Considérons les automates bancaires gérant les portefeuilles d'actions ou les prises de position. L'action baisse, la position devient risquée, un premier automate, sur la base d'un calcul (par un algorithme) de situation par rapport à un seuil, vend. Puis un second, sur la base du même calcul vend, puis un troisième vend. Chaque automate confirme le précédent automate. Baisse et risque, d'indices deviennent réalité. L'action a perdu en quelques minutes 50% de sa valeur. La position a réalisé son risque : le prix à payer est de plusieurs millions de dollars ou d'euros.
Les financiers disent alors : "Il y a trop de risques", "les marchés dévissent", "les marchés sont inquiets".
L'inquiétude visible sur le visage d'un opérateur boursier Crédits photo : © Brendan McDermid / Reuters/REUTERS
Les médias répètent : "les marchés dévissent", "les marchés sont inquiets", "les taux d'intérêts ne peuvent qu'augmenter". Et effectivement, les intérêts à payer sont de plus en plus élevés. Certains deviennent de plus en plus riches
Les politiques disent : "Il faut rassurer les marchés, il faut diminuer le risque, il faut rembourser nos dettes". Alors, comme les politiques ne peuvent ou ne veulent intervenir que dans leur domaine d'action, ils taillent dans les budgets des services publics : Justice, Police, Education, Santé, Assurance Retraite, Programme d'investissement productif. Pas d'investissement : le risque se concrétise. La société civile s'affaiblit, l'économie devient atone. Les petites ou moyennes entreprises licencient ou font faillite. Beaucoup deviennent de plus en plus pauvres.
Vidéo : Analyse d'Arnaud Montebourg de la crise financière comme subordination des Etats aux Marchés financiers - Agoravox TV
Pendant ce temps là, les automates bancaires ne connaissent rien de cette histoire. Passé un seuil, ils achètent et ils vendent, s'imitant les uns les autres, se cumulant les uns les autres, tel les moutons de Panurge se précipitant dans l'eau.
Un doigt se lève : "Le seuil d'achat ou de vente, c'est bien un humain qui l'introduit ?".
La réponse est : "Mais voyons, il faut laisser l'automate faire le calcul du seuil. L'algorithme conçu par l'expert est trop complexe pour être mis en oeuvre par le premier trader venu". Alors ? "Alors l'automate qui calcule le seuil optimisé transmet le résultat à l'automate qui vend ou achète. Les humains, il n'est pas possible de leur faire confiance !"
Plus polémique, une autre façon de le dire : les dirigeants des banques ne veulent pas que leurs collaborateurs utilisent leur capacité de traitement des données, de production et de jugement d'une information pertinente. Ils les remplacent par des robots. Osons le rapprochement avec un robot tueur militaire (Voir la vidéo).
Bref, lorsque l'on voit que aujourd'hui les calculs et les ordres des automates bancaires sont considérés comme plus importants que les gouvernements élus, alors de l'informatisation, on peut dire qu'elle est le phénomène le plus important de notre époque.
Un autre doigt se lève : "Dans la Banque, il y a des excès qu'il faut maîtriser. Mais ailleurs, l'informatisation apporte des progrès formidables : l'automatisation des taches répétitives et pénibles, l'accès facile à toutes sortes d'informations, l'abondance des biens culturels. Il faut considérer le bilan global des moins et des plus de l'informatisation". Et de poursuivre : "Oui, nous entrons dans une nouvelle société, quelques très riches, et beaucoup de pauvres, mais qui seront des esthètes en terme d'images, de jeux virtuels, d'expression littéraire".
Serait-ce abusif de rapprocher ce propos de celui de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet exprimé le 4 mars 2010 à l'Institut Montaigne :
Sommes-nous en dehors de l'époque où "le système binaire sert à représenter tous les éléments d'information" ? Pourquoi alors sans arrêt utiliser le terme "numérique" ?
Si l'informatique serait le domaine vieillot du 0 et du 1, de quels nombres s'agit-il lorsque que l'on parle du "numérique". Seraient-ce les résultats des comptages ? Par exemple, combien de personnes m'ont dit "J'aime" sur Facebook ?
Pourtant, tout ce qui relève de la production culturelle, des échanges et des plaisirs se retrouve in fine ramené à des manipulations de 0 et de 1. Aux femmes et aux hommes numériques, il ne resterait plus que les fonctionnalités de gestion des bibliothèques de musiques, de textes, d'images, d'adresses mails ou de domaines et de gestion des flux entre ces adresses et ces domaines.
Ainsi, s'implémentant et s'étendant sur l'ensemble des échanges sociétaux, production, commerce, politique, les automates et leurs systèmes sont tels des miroirs qui renvoient des reflets numériques plus ou moins denses aux humains. Il ne resterait plus aux humains que de jouer avec ces reflets, et de protéger leurs droits de propriétés numériques.
Quel sens donner à la formule "le phénomène le plus important" ?
Information, calculs, automatisation seraient-ils les nouveaux fondements de notre société ? Une première approche incite à répondre "Oui".
Considérons les automates bancaires gérant les portefeuilles d'actions ou les prises de position. L'action baisse, la position devient risquée, un premier automate, sur la base d'un calcul (par un algorithme) de situation par rapport à un seuil, vend. Puis un second, sur la base du même calcul vend, puis un troisième vend. Chaque automate confirme le précédent automate. Baisse et risque, d'indices deviennent réalité. L'action a perdu en quelques minutes 50% de sa valeur. La position a réalisé son risque : le prix à payer est de plusieurs millions de dollars ou d'euros.
Les financiers disent alors : "Il y a trop de risques", "les marchés dévissent", "les marchés sont inquiets".
L'inquiétude visible sur le visage d'un opérateur boursier Crédits photo : © Brendan McDermid / Reuters/REUTERS
Les médias répètent : "les marchés dévissent", "les marchés sont inquiets", "les taux d'intérêts ne peuvent qu'augmenter". Et effectivement, les intérêts à payer sont de plus en plus élevés. Certains deviennent de plus en plus riches
Les politiques disent : "Il faut rassurer les marchés, il faut diminuer le risque, il faut rembourser nos dettes". Alors, comme les politiques ne peuvent ou ne veulent intervenir que dans leur domaine d'action, ils taillent dans les budgets des services publics : Justice, Police, Education, Santé, Assurance Retraite, Programme d'investissement productif. Pas d'investissement : le risque se concrétise. La société civile s'affaiblit, l'économie devient atone. Les petites ou moyennes entreprises licencient ou font faillite. Beaucoup deviennent de plus en plus pauvres.
Vidéo : Analyse d'Arnaud Montebourg de la crise financière comme subordination des Etats aux Marchés financiers - Agoravox TV
Pendant ce temps là, les automates bancaires ne connaissent rien de cette histoire. Passé un seuil, ils achètent et ils vendent, s'imitant les uns les autres, se cumulant les uns les autres, tel les moutons de Panurge se précipitant dans l'eau.
Un doigt se lève : "Le seuil d'achat ou de vente, c'est bien un humain qui l'introduit ?".
La réponse est : "Mais voyons, il faut laisser l'automate faire le calcul du seuil. L'algorithme conçu par l'expert est trop complexe pour être mis en oeuvre par le premier trader venu". Alors ? "Alors l'automate qui calcule le seuil optimisé transmet le résultat à l'automate qui vend ou achète. Les humains, il n'est pas possible de leur faire confiance !"
Plus polémique, une autre façon de le dire : les dirigeants des banques ne veulent pas que leurs collaborateurs utilisent leur capacité de traitement des données, de production et de jugement d'une information pertinente. Ils les remplacent par des robots. Osons le rapprochement avec un robot tueur militaire (Voir la vidéo).
Bref, lorsque l'on voit que aujourd'hui les calculs et les ordres des automates bancaires sont considérés comme plus importants que les gouvernements élus, alors de l'informatisation, on peut dire qu'elle est le phénomène le plus important de notre époque.
Un autre doigt se lève : "Dans la Banque, il y a des excès qu'il faut maîtriser. Mais ailleurs, l'informatisation apporte des progrès formidables : l'automatisation des taches répétitives et pénibles, l'accès facile à toutes sortes d'informations, l'abondance des biens culturels. Il faut considérer le bilan global des moins et des plus de l'informatisation". Et de poursuivre : "Oui, nous entrons dans une nouvelle société, quelques très riches, et beaucoup de pauvres, mais qui seront des esthètes en terme d'images, de jeux virtuels, d'expression littéraire".
Serait-ce abusif de rapprocher ce propos de celui de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet exprimé le 4 mars 2010 à l'Institut Montaigne :
"Il y a un vrai problème de décalage entre les générations. La fracture est plus générationnelle que sociale car les coûts sont relativement modestes.
Le mot "informatisation" est complètement ringard. "Informatique", ce mot fait marrer. Il nous renvoie à un âge dépassé où le système binaire sert à représenter tous les éléments d'information.
Ce qui compte maintenant, c'est l'interconnexion des systèmes, la multiplication des couches du Web social, le développement de modes de relation hors hiérarchie. Ca ne veut pas dire qu'on ait résolu tous les problèmes de l'ère de l'informatisation. Il existe des risques, par exemple la menace d'une utilisation oppressive de l'informatique par un régime totalitaire. C'est la mission de la CNIL.
Il n'est pas sûr que l'informatique ait joué un rôle dans la crise financière : elle n'a été qu'un outil."
Sommes-nous en dehors de l'époque où "le système binaire sert à représenter tous les éléments d'information" ? Pourquoi alors sans arrêt utiliser le terme "numérique" ?
Si l'informatique serait le domaine vieillot du 0 et du 1, de quels nombres s'agit-il lorsque que l'on parle du "numérique". Seraient-ce les résultats des comptages ? Par exemple, combien de personnes m'ont dit "J'aime" sur Facebook ?
Pourtant, tout ce qui relève de la production culturelle, des échanges et des plaisirs se retrouve in fine ramené à des manipulations de 0 et de 1. Aux femmes et aux hommes numériques, il ne resterait plus que les fonctionnalités de gestion des bibliothèques de musiques, de textes, d'images, d'adresses mails ou de domaines et de gestion des flux entre ces adresses et ces domaines.
Ainsi, s'implémentant et s'étendant sur l'ensemble des échanges sociétaux, production, commerce, politique, les automates et leurs systèmes sont tels des miroirs qui renvoient des reflets numériques plus ou moins denses aux humains. Il ne resterait plus aux humains que de jouer avec ces reflets, et de protéger leurs droits de propriétés numériques.
L'alternative de l'informatisation avec coordination / coopération
Quel serait l'alternative à ce scénario où les humains confieraient leur avenir aux comportements de "troupeaux d'automates" ?
OK, les humains confient le meilleur de leurs raisonnements à des programmes, et bénéficient, pour les faire fonctionner, de l'inépuisable énergie électromagnétique. Mais les humains ne seraient-ils que raisonnement logique, addition et multiplication ?
En fait, un nouveau continent, une nouvelle ère s'ouvre où l'humanité doit s'inventer.
Considérons l'invention du livre imprimé par Gutenberg. Un intellectuel est passé de la possession de quelques dizaines de manuscrits à la possibilité de consulter des millions d'ouvrages. Ce qui a changé dans le travail intellectuel : l'obligation de se situer dans les héritages, préciser ses objectifs pour choisir un sujet, d'améliorer sa rhétorique. En clair, il faut sortir de l'univers du livre pour se déterminer par rapport au monde corporel et ses enjeux.
Ainsi, en face des systèmes de programmes et d'automates, les humains ont à construire une altérité qui leur donne la maîtrise collective des informations numériques. Précisons. Ce qui qualifie l'humain, hors le raisonnement logique, est d'abord la sensibilité, pour construire des jeux de nuances, des rythmes, des mélodies, des harmonies. Simultanément, c'est de trouver la façon d'être soi avec les autres, un avec quelques uns ici, un au milieu de beaucoup, là. Puis, c'est commencer à coopérer en agrégeant des intérêts particuliers dans un intérêt collectif.
Alors fixons les termes. Michel Volle propose de formuler le nouveau système technique comme "Automates Programmables doués d'Ubiquité " (APU). En face, je propose l'invention d'un nouveau comportement humain : " Humains Intuitifs en Coordination "(HIC).
Ce que nous entendons ici par le terme "Informatisation", ce n'est pas une recension des méthodes techniques de fabrication de l'informatique et des réseaux, mais la constitution de nouvelles sensibilités et de nouvelles modalités de coordination ou de coopération HSC permettant à la génération des vingt-quarante ans de maîtriser l'APU.
Alors, voilà pourquoi l'informatisation est le phénomène le plus important de notre époque. Elle exige que nous soyons tous des inventeurs de sensibilité, que nous soyons, tous ensemble, en invention des futures interfaces sensibles en face des programmes et des informations numériques.
Bref, si les automates font de nous des cyborgs, plus que jamais, nous avons à être des corps parlant.
Francis Jacq
Quel serait l'alternative à ce scénario où les humains confieraient leur avenir aux comportements de "troupeaux d'automates" ?
OK, les humains confient le meilleur de leurs raisonnements à des programmes, et bénéficient, pour les faire fonctionner, de l'inépuisable énergie électromagnétique. Mais les humains ne seraient-ils que raisonnement logique, addition et multiplication ?
En fait, un nouveau continent, une nouvelle ère s'ouvre où l'humanité doit s'inventer.
Considérons l'invention du livre imprimé par Gutenberg. Un intellectuel est passé de la possession de quelques dizaines de manuscrits à la possibilité de consulter des millions d'ouvrages. Ce qui a changé dans le travail intellectuel : l'obligation de se situer dans les héritages, préciser ses objectifs pour choisir un sujet, d'améliorer sa rhétorique. En clair, il faut sortir de l'univers du livre pour se déterminer par rapport au monde corporel et ses enjeux.
Ainsi, en face des systèmes de programmes et d'automates, les humains ont à construire une altérité qui leur donne la maîtrise collective des informations numériques. Précisons. Ce qui qualifie l'humain, hors le raisonnement logique, est d'abord la sensibilité, pour construire des jeux de nuances, des rythmes, des mélodies, des harmonies. Simultanément, c'est de trouver la façon d'être soi avec les autres, un avec quelques uns ici, un au milieu de beaucoup, là. Puis, c'est commencer à coopérer en agrégeant des intérêts particuliers dans un intérêt collectif.
F. R. Jacq 2007 : Etre soi avec les autres |
Alors fixons les termes. Michel Volle propose de formuler le nouveau système technique comme "Automates Programmables doués d'Ubiquité " (APU). En face, je propose l'invention d'un nouveau comportement humain : " Humains Intuitifs en Coordination "(HIC).
Ce que nous entendons ici par le terme "Informatisation", ce n'est pas une recension des méthodes techniques de fabrication de l'informatique et des réseaux, mais la constitution de nouvelles sensibilités et de nouvelles modalités de coordination ou de coopération HSC permettant à la génération des vingt-quarante ans de maîtriser l'APU.
Alors, voilà pourquoi l'informatisation est le phénomène le plus important de notre époque. Elle exige que nous soyons tous des inventeurs de sensibilité, que nous soyons, tous ensemble, en invention des futures interfaces sensibles en face des programmes et des informations numériques.
Bref, si les automates font de nous des cyborgs, plus que jamais, nous avons à être des corps parlant.
F. R. Jacq. 2007. Devenir du cyborg en corps parlant |
Francis Jacq
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